Après l'Orchestre National de France qui a fêté Noël en avance avec l’intégrale de Casse-Noisette, c'est au tour de l'autre formation de la Maison ronde, l’Orchestre Philharmonique de Radio France, de proposer son « concert de Noël » ce soir avec un programme particulièrement original, qui n’a pas vraiment de rapport avec la Nativité – même transportée aux États-Unis dont sont originaires les trois compositeurs à l’affiche. La surprise vient du changement de chef : c’est l’une des étoiles montantes de la direction d’orchestre, le Mexicain Robert Treviño, 37 ans, qui remplace Andrés Orozco-Estrada initialement prévu. On n’aura que de bonnes raisons de se réjouir de ce changement.

Le concert s’ouvre avec une rareté de Florence Price, la première compositrice noire à avoir été jouée par de grandes phalanges comme le Chicago Symphony. Ce « Chant d’espérance » (Song of Hope) date de 1930 et reflète l’aspiration du peuple américain à sortir de la Grande dépression de 1929 qui a durement affecté toute l’économie américaine. Les temps sont durs pour les plus humbles mais Florence Price, qui est aussi l’autrice des paroles de ce chant d’espoir, ne s’attarde pas sur les malheurs passés et invoque la lumière du Tout-Puissant ; le Chœur de Radio France, préparé par Lionel Sow, donne toute sa dimension hymnique à cette œuvre brève et dense.
On est plus réservé sur l’intérêt du Concerto pour tuba composé en 2021 par le trompettiste star Wynton Marsalis. On peut être un interprète génial tant classique que jazz et un compositeur peu inspiré. De Hindemith à Bernstein, avec quelques échappées jazzistiques, ce concerto en quatre parties ne manifeste guère d’originalité. Celui qui en assure ce soir la création française, Florian Schuegraf, tuba solo du Philhar' depuis 2020, reste dans une prudente réserve, comme c’est souvent le cas avec des instruments du fond de l’orchestre, qui semblent intimidés lorsqu’ils sont sur le devant de la scène. On admire la virtuosité, notamment dans les cadences du premier mouvement qui font appel à la technique multiphonique, mais on aimerait plus d’une fois que le soliste se lâche, use d’un nuancier plus large, notamment dans le swing qui s’empare du dernier mouvement qui est un hommage à Charlie « Bird » Parker.
La deuxième partie est particulièrement bienvenue pour illustrer le génie polymorphe de Leonard Bernstein, au moment où sort le film de Bradley Cooper Maestro. Les Chichester Psalms (1965) qui précèdent la suite symphonique de West Side Story sont l’un des sommets de l’œuvre de Bernstein, et pourtant c’est la première fois qu’on les entend en concert depuis le choc éprouvé en 1979 à l'écoute du compositeur dirigeant l’Orchestre philharmonique d’Israël et les voix du Jugendchor de Vienne.
Au mitan de son mandat à la tête du New York Philharmonic, Bernstein s’était accordé une année sabbatique pour écrire et composer. À la demande du révérend de la cathédrale de Chichester en Grande-Bretagne, il s’inspirera du Livre des Psaumes pour un triptyque choral chanté en hébreu : le premier psaume, spectaculaire (« Réveillez mon luth et ma harpe »), est splendidement entonné par le Chœur de Radio France en très grande forme, tandis que Robert Treviño tient d’une main aussi souple que ferme un grand orchestre parcouru de rythmes multiples et changeants.
Changement radical d’atmosphère avec le deuxième psaume et l’intervention d’un jeune soliste de la Maîtrise de Radio France qui va bouleverser l’auditoire avec son invocation à voix nue « Adoani ro-i, lo elisar » (« Le Seigneur est mon berger »). Le troisième psaume est précédé d’un long prélude orchestral aux âpres dissonances qui débouche sur une sorte de berceuse et un choral a cappella, « Qu’il est doux pour les frères de demeurer ensemble ». On aurait presque aimé que le concert s’achève à ces hauteurs d’inspiration et d’émotion.
Mais on aurait manqué cet authentique « concerto pour orchestre » que constitue la suite tirée par Bernstein en 1960 de sa comédie musicale West Side Story, une suite qui n’en reprend pas les tubes chantés (« America », « I feel pretty », « Tonight ») mais fait appel à toutes les ressources du très grand orchestre et à sa virtuosité individuelle et collective. C’est peu dire que l’Orchestre Philharmonique de Radio France et ses solistes (en particulier son violon solo Nathan Mierdl) brillent de tous leurs feux et que Robert Treviño confirme qu’il est l’une des baguettes les plus inspirées de la génération montante.