On retrouve ce 12 janvier les concerts du dimanche matin au Théâtre des Champs-Élysées là où on les avait laissés en décembre dernier : avec le violoncelliste Victor Julien-Laferrière et les aléas de la vie. Cette fois-ci, pas de virus entraînant un changement d’effectif mais les humeurs aventureuses d’une pique qui s’amuse à drifter sur la scène et des coups de masse qui auront agrémenté la fin de la première sonate du concert. Des travaux le dimanche matin avenue Montaigne : pas de chance !

Jonathan Fournel / Victor Julien-Laferrière © Alexei Kostromin / Lyodoh Kaneko
Jonathan Fournel / Victor Julien-Laferrière
© Alexei Kostromin / Lyodoh Kaneko

Accompagné par son complice Jonathan Fournel, Victor Julien-Laferrière propose au public matinal un intéressant programme en forme de panorama de la sonate pour violoncelle et piano, depuis le romantisme naissant de Felix Mendelssohn aux idées novatrices de Zoltán Kodály, en passant par les élans brahmsiens. L’ensemble du concert est marqué par des traits structurants marquants. En premier lieu l’égalité entre les deux instruments : le piano n’est pas un simple accompagnateur au service d’un violoncelle dont il se tiendrait en retrait, mais un protagoniste à part entière. Cela permet d’apprécier la fusion des timbres comme on peut rarement le faire au disque. L’équilibre de volume est légèrement défavorable au violoncelle pendant le premier mouvement de la Sonate pour violoncelle et piano n° 1 de Mendelssohn qui ouvre le concert, mais est bien vite ajusté pour le reste du programme.

Cette synergie est d’autant plus plaisante qu’elle se double d’un jeu fondé sur la clarté. Tandis que Victor Julien-Laferrière dispose d’un archet précis et d’une main gauche sûre, Jonathan Fournel utilise très parcimonieusement la pédale de résonance de son instrument : on entend alors toutes les notes, quelle que soit la nuance. Cette limpidité est salutaire à l’« Allegro con spirito » de la Sonate pour violoncelle et piano de Kodály, dont on comprend distinctement toute la polyphonie. Cette caractéristique ne rime cependant pas avec une transparence sans corps : ainsi dans le premier mouvement de la même sonate, on comprend les influences debussystes du compositeur hongrois mises en avant dans le programme de salle. Ce récitatif à deux fait la part belle aux textures sonores nébuleuses d’où émergent les prises de parole.

Soulignons enfin la remarquable technique des deux artistes. Jonathan Fournel se joue des trémolos et rythmes pointés typiques de l’écriture de Mendelssohn et gère remarquablement le registre grave du piano, soignant la progression harmonique tout en subtilité. C’est par ailleurs lui qui assure le caractère dansant du dernier mouvement de la Sonate pour violoncelle et piano n° 2 de Brahms grâce à des attaques dynamiques. Victor Julien-Laferrière est quant à lui un violoncelliste complet, depuis l’art de faire sonner les doubles cordes dans le premier mouvement de la sonate de Brahms, jusqu'à la maîtrise des pizzicati avec un remarquable sens de la transition dans l’« Adagio affettuoso » qui suit.

Si chaque sonate prise individuellement est captivante et musicalement aboutie, on regrette cependant l’absence de contraste marqué entre les œuvres de Mendelssohn et Brahms. Un même style très classique les unit, quand on aurait aimé davantage d’emphase dans la seconde. Si la clarté du piano permet de révéler les soufflets de la première page, le premier accord manque d’une certaine dimension épique, pour lancer une narration exaltée. De même le deuxième mouvement tend davantage vers l’Andante que vers l’Adagio, avec un caractère affettuoso peu perceptible. Cette uniformité relative est d’autant plus étonnante que la sonate de Kodály, intercalée entre les deux autres, a bien son relief propre, vraiment impressionniste.

De manière inattendue, on émet également quelques réserves sur l’instrument de Victor Julien-Laferrière. Le timbre en est très beau, mais le son semble captif de la caisse de résonance à partir de la nuance forte. Alors que l’on voit le musicien appuyer sur la corde près du chevalet pour en tirer une puissance maximale, on ne peut s’empêcher de penser au rendu que pourrait produire un autre violoncelle, favorisant une sonorité plus ample, moins contrainte. Il faut reconnaître que l’acoustique de la salle n’aide pas : en l’absence complète de résonance, il faut sans cesse soutenir le son, au risque de la saturation. Les nuances piano et mezzo forte restent cependant irrésistibles, à l'image d'un « Andante » de la sonate de Mendelssohn tout en suspension, ainsi que du lied de Schubert donné en bis.


Ce concert a été coorganisé par Jeanine Roze Production et le Théâtre des Champs-Élysées.

***11