Composé en 1902 sur un livret de Maurice Maeterlinck, Pelléas et Mélisande est l’unique opéra achevé de Debussy. Inspiré de la légende de Tristan et Yseult et du personnage de Raiponce des Frères Grimm, Pelléas et Mélisande raconte l’amour impossible qui lie Pelléas à Mélisande, mariée au frère aîné de Pelléas.  

Mais l’opéra de Debussy est avant tout une œuvre déroutante qui met à l’épreuve son spectateur. Délibérément en décalage avec les conventions vocales et symphoniques de l’opéra, Pelléas et Mélisande cherche à en bouleverser les codes pour mieux revenir à l’essence même de cet art. La musique impressionniste de Debussy s’inscrit donc dans une quête de pureté et de symbolisme, avec un chant souvent sans thème ni mélodie qui se veut le reflet de l’âme des personnages et fonctionne indépendamment de la partition jouée par l’orchestre.

La narration et le style du livret contribuent également à brouiller les pistes. L’opéra, tiré de la pièce de théâtre de Maeterlinck du même nom, est l’œuvre symboliste par excellence, tant dans son registre gothique et onirique que dans son écriture. Le livret est une prose dialoguée qui mêle le quelconque (« Je suis née un dimanche. Un dimanche à midi. » Mélisande Acte III, « J’ai ouvert la fenêtre, il fait trop chaud dans la tour. » Mélisande, Acte III) au fantastique (« Comme nos ombres sont grandes ce soir ! », Mélisande Acte IV, « Sentez-vous l’odeur de mort qui monte ? » Mélisande, Acte III). 

Pourtant, Pelléas et Mélisande est une œuvre qui a su refléter les tendances de son temps et traverser les âges. Cet opéra qui aurait tant choqué lors de ses premières représentations s’inscrit pourtant dans un renouveau d’affection pour le médiéval caractéristique de la fin du XIXème siècle et qui tend à insister sur l’influence des traditions celtique, germanique et nordique dans la culture occidentale. Le nationalisme romantique, avec des représentants emblématiques tels qu’Akseli Gallen-Kallela, peintre des légendes du Kalevala, la mythologie finlandaise, cherche ainsi à remettre au goût du jour le folklore médiéval et les légendes arthuriennes, tout comme les peintres symbolistes d’Edgard Maxence ou de Puvis de Chavannes. 

En musique également, les références au médiéval fleurissent avec les opéras wagnériens (Tristan et Isolde, le cycle de L’Anneau du Nibelung,…) mais aussi Le Roi Arthus, d’Ernest Chausson, et de nombreux artistes qui puisent dans le folklore national, tels Jean Sibelius ou Béla Bartók. Encore aujourd’hui, la voix éthérée de Mélisande qui fait fi de la partition de l’orchestre et l’écho lointain de l’écriture symphonique nous touchent en profondeur et nous ramènent toujours aux sources de l’art de l’opéra. 

Les productions d’une œuvre si riche et difficile à apprivoiser sont donc nombreuses et ont proposé au fil du temps des interprétations variées. Certaines restent fidèles au livret et à l’atmosphère gothique, telle que la mise en scène de Pelléas et Mélisande de Jonathan Miller pour le Met en 2010. 

D’autres productions s’en écartent davantage pour insister sur différents aspects de Pelléas et Mélisande, telle que l’adaptation aussi fascinante que minimaliste de Robert Wilson, coproduite en 2012 par l’Opéra de Paris et le Festival de Salzbourg, qui joue sur le symbolisme de l’œuvre. La scène est plongée dans une semi-obscurité bleutée, ou tout n’est que suggestion. Les personnages ne se regardent pas, ne se touchent jamais (parfois en dépit du texte !) et l’emblématique chevelure de Mélisande est seulement évoquée par un jeu de scène. Portant notre regard au-delà du réel, cette adaptation un brin ésotérique symbolise à merveille l’incapacité à communiquer des personnages.

Autre interprétation de génie, celle proposée par Laurent Pelly au Theater an der Wien en 2009 dans une production poétique et féminine qui réunit Natalie Dessay et Laurent Naouri. Transposée au début du XXème siècle, à l’époque de sa création, l’opéra dépeint la société bourgeoise dans une scénographie qui évoque sans nul doute l’univers de Stefan Zweig. Mélisande incarne la femme introvertie, sujet mélancolique et fragile secoué par une passion violente, en écho à l’héroïne du Voyage dans le Passé

On découvrira donc avec hâte les prochaines adaptations de cet intemporel opéra, et notamment avec la création de Christophe Honoré à l’Opéra de Lyon lors de la saison prochaine !