« Quand viendra la saison nouvelle… », entonne Cyrille Dubois avec cette joie malicieuse qu’il est l’un des rares à savoir donner sans avoir l’air de cabotiner. Il n’y a pas que le jeu du ténor qui prête à sourire en ce samedi soir au château Louis XI : pour ce début chaleureux et enlevé des Nuits d’été, le thermomètre affiche un contraste cocasse et bon nombre de spectateurs écoutent l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique emmitouflés dans des plaids estampillés Festival Berlioz. Quant à la « saison nouvelle », imminente en ce dernier week-end avant la rentrée des classes, son lot d’incertitudes sanitaires inviterait même les plus optimistes à troquer l’enthousiasme berliozien effréné pour une prudence de bon aloi…

Cyrille Dubois et John Eliot Gardiner
© Bruno Moussier

À La Côte-Saint-André, voilà un moment que les organisateurs du festival ont renoncé à la voie de la prudence pour cet été baptisé « Le Retour à la vie » après l’annulation contrainte et forcée de l’édition 2020. Avant les troupes de John Eliot Gardiner, une quantité d’orchestres de classe internationale se sont succédés sur la scène du festival ; dernier en date la veille et l’avant-veille, c’est le Mariinsky de Gergiev qui assurait le spectacle sur autorisation spéciale, venu malgré la situation sanitaire d’une Russie classée rouge au baromètre du Covid-19. Quant à l'Orchestre Révolutionnaire et Romantique, il se produit ce soir une heure plus tôt qu'initialement prévu, afin d'éviter le couperet éventuel d'une quatorzaine une fois rentré outre-Manche. Admettant en coulisses la possibilité d’une banqueroute s’il avait fallu annuler à nouveau tout ou partie du festival cette année, le directeur Bruno Messina esquisse ce soir un sourire soulagé et aura une pirouette digne du compositeur de la Symphonie fantastique pour justifier sa programmation audacieuse : « quitte à mourir, autant mourir avec panache ! »

John Eliot Gardiner au Festival Berlioz
© Bruno Moussier

Pour le panache, il faudra cependant attendre la seconde partie du concert : pour l’heure, John Eliot Gardiner tient solidement la bride de son orchestre dans les Nuits d’été afin de ne pas noyer les voix. Se succédant au chant afin de suivre l'ambitus changeant des mélodies, Cyrille Dubois, Lea Desandre et Lionel Lhote montrent à ses côtés des arguments différents : le ténor est un conteur idéal à la diction toujours nette et au timbre clair, la mezzo-soprano se distingue par sa justesse pure et son phrasé sensible (superbe Spectre de la rose), le baryton par son interprétation habitée et ses accents expressifs. Le conductor multiplie quant à lui les injonctions à ses troupes disciplinées, indique jusqu’au moindre changement de note dans le reflux conclusif de Sur les lagunes et maintient constamment le volume sonore dans des nuances confidentielles. Le résultat est d’une grande beauté plastique, les musiciens montrant une intonation irréprochable (dans les bois notamment) et une homogénéité de chaque instant (mention spéciale aux articulations des cordes, réglées au millimètre). On pourra en revanche regretter la relative platitude du phrasé orchestral et la discrétion de certains effets berlioziens (les harmoniques surnaturels d’Au cimetière sont à peine audibles), même si ce choix donne à l’ensemble l’allure d’un songe léger qui passe, anticipant la seconde partie shakespearienne…

Le Songe d'une nuit d'été au Festival Berlioz
© Bruno Moussier

Dans la rare musique de scène du Songe d’une nuit d’été signée Felix Mendelssohn, John Eliot Gardiner lâche ensuite les chevaux – ou plutôt les ânes, le maestro prenant un malin plaisir à appuyer l’imitation du braiement de l’animal. Après une ouverture spectaculaire où les timbres des instruments d’époque donnent à la partition toutes ses couleurs fantastiques, la scène du château Louis XI se transforme peu ou prou en Théâtre du Globe : reconstituant librement le spectacle qu’accompagnait l’œuvre de Mendelssohn, trois comédiens donnent entre les interventions impeccables de l’orchestre et du chœur une lecture très incarnée (mais jamais affectée) de morceaux choisis de la pièce de Shakespeare. L’interprétation d’Alexander Knox, Rebecca Lee et Oscar Batterham est délivrée dans un anglais délicieux et ô combien musical, la sonorisation très radiophonique est parfaitement équilibrée et les dialogues avec les musiciens idéalement fluides ; si Berlioz avait été là, cette production shakespearo-mendelssohnienne l’aurait probablement comblé. La brise fraîche qui s’invite parfois dans les gradins ne fait alors que renforcer l’illusion du théâtre musical : elfes et fées défilent à nos oreilles dans la forêt du Songe… et si l’on se surprend à frissonner, désormais la température n’y est pour rien.


Le voyage de Tristan a été pris en charge par le Festival Berlioz.

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