Pour ouvrir sa saison lyrique 2023-24, le Théâtre National du Capitole porte à l’affiche Les Pêcheurs de perles, opéra de 1863 composé par le jeune Georges Bizet. Dans une nouvelle production maison, toutes les composantes du Théâtre, orchestre, ballet, chœur, ateliers sont réunies pour lancer l’année avec cette évocation délicate de l’Inde fantasmée par le livret d’Eugène Cormon et Michel Carré.

Conduit par un Victorien Vanoosten très passionné, l’orchestre toulousain livre un travail titanesque sur les couleurs, les mélanges de timbres et la délicatesse de la partition de Bizet, en parfaite adéquation avec le plateau vocal. Le chœur est également bien réglé, même si c’est ici l’effet de foule qui est privilégié aux dépens parfois de l’intelligibilité du texte. Enfin, les membres du Ballet du Capitole jouent un rôle crucial dans la représentation, étant quasiment les seuls éléments de dynamisme sur scène.
La mise en scène de Thomas Lebrun semble d’ailleurs avoir privilégié essentiellement cet aspect avec l’aide de Raphaël Cottin et Angelo Smimmo à la chorégraphie. La performance des danseurs est remarquable, surtout dans les représentations voilées de l’objet idéalisé et onirique des désirs masculins, dans des danses toutes en pointes. On reste en revanche plus dubitatif devant la gestuelle évoquant l’Inde (l’inévitable Shiva aux bras multiples, danseuses alignées, les petits mouvements de la tête) ou devant les déhanchés qui se veulent sans doute humoristiques mais qui s’insèrent mal dans un opéra qui n’offre aucune possibilité de décalage. La mise en scène est d’ailleurs questionnable pour son dosage du réalisme, tantôt excessif, tantôt absent (quand Nourabad demande à Leila de rester sur son rocher – en réalité une cabane en bambou surélevée).
Dans la même veine, les décors d’Antoine Fontaine et les costumes de David Belugou, colorés certes, livrent une image quelque peu caricaturale de l’Inde de Bizet, dont on se doute pourtant qu’elle n’est qu’un prétexte au détour ethnographique pour mieux tenter de montrer l’universalisme et la force de l’amour et de l’amitié. L’aspect carton-pâte des décors, le grimage à l’indienne des choristes et le (très) kitsch des costumes donnent un aspect passéiste à la mise en scène et on reste dans un entre-deux curieux : un choix plus tranché, en versant soit dans la sobriété, soit dans le Bollywood contemporain, aurait évité tous ces écueils. La production scénique vient également gêner la musique puisque lorsque l’orchestre attaque l’interlude, rideau fermé, le déplacement des structures en bambou vient largement perturber les pianissimos et passages délicats... pour un résultat dont on ne peut s’empêcher de se dire qu’il aura produit beaucoup de bruit pour rien.
Le plateau vocal est fort heureusement nettement plus convaincant, à commencer par Alexandre Duhamel, radieux en Zurga : sa voix d’airain sonne à la perfection tantôt la colère, tantôt les envolées lyriques amicales envers Nadir. Son jeu scénique est très soigné et sans doute le seul à être aussi développé. Mathias Vidal, très apprécié lors de ses passages sur les planches toulousaines en Platée ou en Ferrando les saisons précédentes, maintient sa brillance. Il donne une partition très puissante, y compris en voix de tête, et il est bien dommage que son jeu d’acteur n’ait pas été davantage sollicité par la mise en scène.
Anne-Catherine Gillet livre une Leila rayonnante, particulièrement ornée et vibrée dans ses solos de soprano et qui retourne à une voix plus chaude et stable dans les ensembles. Jean-Fernand Setti, imposant par stature comme par sa voix cuivrée et bombée de basse, dépassant de deux têtes les autres artistes, est un prêtre tout choisi. Son incarnation est à l'image de cette production toulousaine : malgré un costume douteux, il ponctue avec charisme et inflexibilité l’action, finissant, à moitié dénudé, par tuer Zurga.