En ce lundi 2 septembre, la très longue file d’attente d’un public majoritairement étudiant devant le KKL pour les places de dernière minute témoigne certes de la reprise des activités universitaires à Lucerne, mais aussi et surtout d’une affiche exceptionnelle au Festival avec un chef, Simon Rattle, qui semble avoir beaucoup à dire aux jeunes générations. Le voici avec l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise dont il est devenu, dans le grand mercato des chefs d’orchestre, directeur musical la saison passée après avoir laissé le LSO à Antonio Pappano, que nous venions de quitter l’avant-veille à Gstaad. Il dirige ce soir un compositeur qu’il chérit tout particulièrement, Gustav Mahler et sa Sixième Symphonie nommée, par le compositeur lui-même, « Tragique ». C’est très certainement la valeur que Rattle associe à ce tragique qui définit toute l’originalité du concert donné ici.

Simon Rattle dirige l'Orchestre symphonique de la Radio bavaroise à Lucerne © Priska Ketterer / Lucerne Festival
Simon Rattle dirige l'Orchestre symphonique de la Radio bavaroise à Lucerne
© Priska Ketterer / Lucerne Festival

Cette symphonie a déjà fait l’objet cette année d’une publication discographique avec le même orchestre lors d’un enregistrement en direct ; le chef britannique mentionne dans le livret de l'album que « Mahler présente ici l'ensemble d'une vie colossale – et cela inclut l'amour et l'optimisme ». C’est précisément ce pari qui fait la force de l’interprétation de Rattle : trouver au sein même de l’œuvre considérée comme la plus intime du compositeur, la plus complexe et peut-être la plus pessimiste (en la mineur) ce qui relèverait d’un versant « amoureux » ou « optimiste ». Dès lors, l’interprétation se dessine sur une ligne de crête, où l’on ne cesse d’osciller d’un tempérament à l’autre, avec une dynamique clairement affirmée vers l’optimisme, et où un thème présenté comme optimiste peut s’obscurcir un peu plus loin lorsqu’il est répété, et inversement.

Rattle est un optimiste né. Le voir diriger est déjà une source de bonheur, et les musiciens le lui rendent bien. L’Andante moderato placé ici en deuxième position est certainement le plus beau moment de la soirée, débordant de générosité dans un prélude qui expose le thème aux cordes, puis le passe aux bois, pour prendre l’allure d’une offrande musicale. Quelques mesures plus loin, c’est un relais d’une ineffable douceur qui s’opère entre le cor anglais, la clarinette, le cor puis la flûte. On est bien. Tout est fin. Et au milieu du mouvement, il suffira d’une infime suspension et d’un accord de flûte mis en exergue, pas même appuyé, ou de la fragilisation de la tonalité avec des accords arpégés aux cordes pour faire sourdre un drame, bientôt rattrapé depuis la coulisse par quelques cloches de vaches qui réactivent le rêve. Ainsi travaille, délicatement, la foi au bonheur.

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Simon Rattle dirige l'Orchestre symphonique de la Radio bavaroise à Lucerne
© Priska Ketterer / Lucerne Festival

Dans le reste de la symphonie et plus particulièrement dans l’Allegro energico ma non troppo en ouverture, Rattle va chercher l’optimisme dans tout le champ lexical des percussions, nombreuses, qu’il rattache avec féérie, enchantement et douce naïveté au monde de l’enfance ; jusqu’à l’utilisation malicieuse de la harpe ou du célesta, non sans rappeler la Fée Dragée de Tchaïkovski dans le dernier mouvement. C’est joueur et lumineux. Se racontent dès lors une petite et une grande histoire, à travers les thèmes et surtout leur exploitation : le point de vue des enfants face au point de vue des adultes, dans une grande fresque humaine et alpestre. On voit par exemple la marche inaugurale s’amincir en une marche de petit soldat, et même le monumental marteau du dernier mouvement relève tout autant du destin qui frappe à la porte que d’une joyeuse bêtise à l’orchestre. Mais dans le finale, la dernière mélodie des trombones se mue en chant funèbre, suivi d’un accord tutti tonitruant et net qui balaie tout espoir. Le drame l’emportera finalement. Prémonition des drames à venir pour Mahler, diront les biographes.

La phalange munichoise est certes d’une homogénéité exemplaire, mais elle connaît le défaut de sa qualité et l’on regrette de ne pas avoir davantage de plans sonores, de relief entre les pupitres, ce qui nous permettrait de se repérer davantage dans un scherzo qui semble tourner en rond. De même le finale reste par moments hermétique et globalement très massif. L’ordre des deuxième et troisième mouvements, souvent interchangeables, y est certainement pour beaucoup dans ce ressenti, avec ici le Scherzo – et non l’Andante moderato – qui précède le finale, selon une couleur très voisine. De quoi, il est vrai, légèrement nuancer l’avis d’une affiche qui s’annonçait mémorable, mais n’en reste pas moins belle.

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