Ce samedi soir à la Halle aux grains marque le premier concert de Tarmo Peltokoski comme directeur musical de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. C’est dire la hauteur de l’intention et le poids du choix du programme : ce sera un sommet de la musique française, la Turangalîla-Symphonie d’Olivier Messiaen.

Allons tout de suite en son centre, pour écouter la « Joie du sang des étoiles ». Depuis un moment déjà, le chef finlandais structure patiemment la musique complexe de coups de baguette précis, millimétrés, avec un calme et une maîtrise impérieux, quelles que soient les chausses-trapes de la partition. Et voilà que tout à coup, il électrise les musiciens avant même le premier son, annonçant le tempo de tout son corps. Et l’orchestre le suit dans cette « danse de joie » comme un seul homme, extatique d’un bout à l’autre de la pièce, tenant une tension rythmique inflexible de laquelle Bertrand Chamayou, infaillible, est un acteur central. Les dernières mesures enflent dans un crescendo magistral qui semble ne pas avoir de fin ; Peltokoski tire physiquement les instrumentistes qui répondent, encore, encore, encore, dans un tutti vertigineux. Il faut bien le « très long silence avant la pièce suivante » indiqué par Messiaen, pour se remettre de cette cataracte sonore.
Dès les premières notes de la soirée, on a senti le souffle d’un moment unique. Rondeur majestueuse du thème-statue donné par des cuivres impeccables, émotion et tendresse du thème-fleur offert par les clarinettes, tout est posé, stable, clair. L’Orchestre du Capitole est totalement présent, tel qu’on le connaît mais beaucoup plus en même temps, augmenté d’un régiment de percussionnistes ; il est dans son ensemble soumis à rude épreuve, exposé à un régime de contraste permanent dans les hauteurs, les rythmes, les nuances. Dans le foisonnement festif et amoureux de Messiaen, il est guidé à chaque instant par le laser qui prolonge le bras droit de Peltokoski, autant à l’aise dans l’alliance des timbres crus et nus du début du mouvement « Turangalîla 1 » que dans l’emphase superlative du finale.
Bertrand Chamayou est de chaque instant. Il escalade ce presque-concerto monstrueusement difficile d’un bond, toujours présent, juste, impeccablement virtuose dans les cadences, aligné avec les vibraphones et le célesta. Dans le « Jardin du sommeil d’amour », où les ondes Martenot forment un tout d’une belle unité avec les cordes et chantent le thème principal, l’amour de Tristan et celui d’Yseult, Chamayou joue en-dehors, cet oiseau presque étranger, un peu comme un Jiminy Cricket qui serait perché sur l’épaule de Tristan. C’est tendre, émouvant, d’un orientalisme subtil.
Les percussions, omniprésentes, sont particulièrement sollicitées dans un presque solo-pour elles, lors de « Turangalîla 2 ». Ce mouvement aride, prenant, dérangeant, les expose dans un canon rythmique rétrograde qu’elles survolent, les yeux dans les yeux du chef. Le sommet de l’étrange est atteint dans la forêt enchantée de l’avant-dernier mouvement, où les éclats chatoyants des jeux de timbres, du célesta et du piano, dansent sur un ripieno magique.
Enfin c’est le finale, tellement dansant dès les premières mesures ! Dans un élan lumineux, le thème d’amour explose à nos oreilles. Le mot de la fin revient à Cécile Lartigau, qui tient les ondes avec un mélange de rigueur et de souplesse, concentrée sans relâche pour donner le timbre adéquat et le glissement qui fait rêver… Après des tonnerres d’applaudissements et quatre rappels, tous les instrumentistes partis en coulisses, la musicienne restera sur scène et prendra longuement le temps d’expliquer à des dizaines de spectateurs émerveillés le fonctionnement des ondes, qui ont ainsi retenti dans la Halle aux grains bien au-delà du triple forte final.

