Sous la tente du Gstaad Menuhin Festival, Mark Elder entre sur scène, tranquillement, à son rythme. La main est légèrement tremblante, la baguette aussi par extension. Elle s’abaisse, puis se relève, et dans une mesure à quatre temps, un tempo délibérément lent, débute l’ouverture de Parsifal de Wagner, par le Gstaad Festival Orchestra que nous avions laissé la semaine dernière dans Bruckner. On retrouve ici encore la qualité d’exécution d’un orchestre composé d’excellents musiciens. Le rendu des pupitres reste tout aussi bon. Dès la première phrase mélodique aux violons et bois, les triples croches des altos produisent parfaitement cet éther voulu par Wagner, et l’on se représente une forêt dans la brume au petit matin non loin du château de Montsalvat, dans les Pyrénées.

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Mark Elder et le Gstaad Festival Orchestra
© Raphaël Faux

Vraiment ? Pas tout à fait… car en vérité, dans cette première partie, le paysage est cité plus que véritablement joué ou incarné. On nous dit « attention magie », mais on n’y croit pas. On nous dit « attention haute spiritualité », mais cela ne vient pas. L’interprétation s’écoute et se regarde trop jouer. Le chef surjoue les silences, les tempos lents, la ligne mélodique, les effets attendus dans un narratif assez terne, peu dynamique et somme toute très scolaire. C’est plus routinier que créatif. Coup du magicien avec le chapeau et le lapin, annoncé à grand renfort de roulement de tambour, mais qui n’y croit peut-être pas lui-même. Rien à faire, cela ne prend pas, et, malgré les délicats clairs-obscurs des cuivres, ne prendra pas plus dans l’Enchantement du Vendredi Saint.

Autant dire que passée cette morne ouverture, les attentes en deuxième partie étaient grandes, la soirée – comme la communication autour du concert – reposant essentiellement sur la programmation du deuxième acte de Tristan et Isolde en version concert avec Jonas Kaufmann et Camilla Nylund dans les rôles-titres. C’est une joie de retrouver Kaufmann en forme, tout à fait présent dans une partie exigeante qui l’oblige même à vérifier que sa voix est bien là lors du préambule du « So starben wir », mené avec un grand souci du crescendo, de la progression et des lignes mélodiques. C’est très beau.

Camilla Nylund et Jonas Kaufmann à Gstaad © Raphaël Faux
Camilla Nylund et Jonas Kaufmann à Gstaad
© Raphaël Faux

Pourtant, hormis ce moment qui nous rappelle le Kaufmann des grands soirs, c’est généralement à un Heldentenor là aussi bien plus scolaire que solaire auquel nous avons affaire, bien loin des micro nuances auxquelles il a pu nous habituer par ailleurs. Loin aussi de ces effets de voix et de projection, couverts ou puissants, nuancés et colorés. Est-ce la faute à un orchestre toujours très fort, jamais mezzo forte et rarement piano ? Mais le médium de la voix semble absent et l’amplitude s’établit entre le forte et plus rarement le piano. Camilla Nylund quant à elle a la voix du rôle, mais son vibrato dans l’aigu et en renfort de puissance devient vite trop lâche. Les deux sont trop souvent forcés par un orchestre, certes plus vif qu’en première partie, mais qui donne la sensation d’accompagner les chanteurs en pilote automatique, de tunnel en tunnel, à grands coups d’aplats, apportant peut-être la seule véritable grande nuance lors de l’air du roi Marke.

Car qui l’eût cru ? C’est du côté des seconds rôles que se trouveront les perles rares de la soirée. Le roi Marke de Christof Fischesser profite du retrait négocié par l’orchestre à la fin du duo pour camper de sa voix chaude, profonde, impériale toute l’amertume de ce personnage, trahi en amour par son neveu. Royal. Sasha Cooke est une Brangäne de haut vol et son investissement est d’autant plus notable dans une production somme toute paresseuse. Sa ligne de chant, notamment dans le fameux appel de Brangäne, est une offrande à nos oreilles et l’on resterait des heures durant à écouter cette sirène chanter sa mise en garde où pas une syllabe ne se perd.

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Todd Boyce vs Jonas Kaufmann, sous la baguette de Mark Elder
© Raphaël Faux

Est-il besoin, comme pour une précédente Flûte enchantée, d’évoquer la vacuité et le mauvais goût des vidéos projetées en arrière-plan qui viennent obstruer notre champ de vision ? La tentative de mise en espace ou mise en jeu, relents d’une mise en scène sans âge, ni faite ni à faire ? Et l’acoustique du lieu qui perd les voix dès que les chanteurs sont de profil ? Nous passerons sur ces points…

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