Arrivant par la route, à la tombée du jour, on voit de loin, exposées plein ouest, les deux hautes tours de la cathédrale de Laon qui surplombent la plaine picarde. C'est dans cet impressionnant vaisseau, chef-d'œuvre du gothique picard, que prennent d'ordinaire place les concerts du Festival de Laon. Mais ce mardi soir, c'est à l'entrée de la ville haute, dans l'église abbatiale Saint-Martin, que nous entendons l'Orchestre de Picardie dans un programme original qui reflète l'ambition artistique intacte d'un festival qui en est à sa 36e édition. Ce n'est pas la directrice musicale de l'orchestre, Johanna Malangré, en poste depuis deux ans, qui est au pupitre, mais une autre cheffe, la Finlandaise Emilia Hoving, qui a été l'assistante de Mikko Franck au Philhar' de 2020 à 2022 et qui va révéler ce soir une forte personnalité.
Le concert s'ouvre par une première mondiale : une pièce en deux volets intitulée Melancholia du compositeur français Karol Beffa, d'après le film éponyme de Lars Von Trier. Dès les premières notes, sur un tapis de cordes diaphane, la trompette, puis hautbois et clarinette mêlés, évoquent la touffeur des grands espaces – on pense irrésistiblement à Ives ou au Copland d'Appalachian Spring. Le tour de force de Karol Beffa est de parvenir à faire vivre l'apparente immobilité de ce mouvement, par un travail très subtil sur le matériau sonore, les couleurs instrumentales. La deuxième partie est beaucoup plus brève, et regarde, mais sans esprit d'imitation, vers le minimalisme américain. Emilia Hoving a cette assurance tranquille de qui n'a pas besoin de démontrer pour emporter l'adhésion de ses musiciens comme du public.
On est heureux de retrouver ensuite Bruno Philippe, qu'on n'a plus entendu depuis un lustre. Le jeune trentenaire aborde le Premier Concerto pour violoncelle de Saint-Saëns avec un élan et une maîtrise que sa fougue juvénile a parfois dissimulés. Ce concerto en un mouvement et trois parties, qui tourne sur lui-même, n'est pas techniquement le plus difficile qui soit, mais comme dans toute œuvre de Saint-Saëns, l'interprète se doit de rechercher l'équilibre entre une virtuosité qui cache bien son jeu et une inspiration souvent académique. Bruno Philippe se tient sur une ligne de crête élégante et racée et Emilia Hoving allège le dispositif orchestral, pour pallier la réverbération excessive des lieux. Applaudissements nourris pour le jeune violoncelliste.