La Calisto de Cavalli au Théâtre de l’Archevêché c’est la promesse exaucée, pour paraphraser Mauriac, de regarder les étoiles et voir descendre les dieux. Non loin des origines de l’opéra, dans un temps où Monteverdi était encore un contemporain et une influence directe, Cavalli a peint là l’histoire d’un monde décadent où Jupiter se donne la mission de descendre sur Terre afin de « réensemencer » le monde, dans un geste absolument baroque, occasion d’une large bulle spéculative fictionnelle nourrie de nombreux quiproquos, d’un travestissement de Jupiter en femme, et de moments de reconnaissances. Ici, tout semble prétexte à des échanges de « baisers », dans un appel permanent à des scènes libertines et de séduction. En germe, entre comique de situation et badinage amoureux, c’est Marivaux et Goldoni réunis, sur fond de commedia dell’arte.

<i>La Calisto</i> au Festival d'Aix-en-Provence &copy; Monika Rittershaus
La Calisto au Festival d'Aix-en-Provence
© Monika Rittershaus

Jetske Mijnssen n’est pas dupe de cet aspect composite. Dans un geste qui à tous points de vue rappelle l’art d’un Strehler dans Les Noces de Figaro ou l’univers du Barry Lyndon de Kubrick, la metteuse en scène néerlandaise propose de faire atterrir l’aréopage divin dans une antichambre d’hôtel particulier du XVIIIe siècle, véritable place intérieure à l’action, encadrée de cinq portes d’accès. La direction d’acteur est bien là, dans un certain art de la préciosité : le duo de l’excellent Jupiter d’Alex Rosen et du Mercure de Dominic Sedgwick est facétieux à souhait. Puis la réapparition de Jupiter en femme, avec Alex Rosen qui utilise pour l’occasion sa voix de tête, promet un emballement jouissif du projet. Las, à l’image du Don Giovanni en ouverture du festival, cela ne se produira pas.

Malgré le mistral qui s’est invité par bourrasques dans la Cour, il manque un coup de fouet ou de burin bien plus fort et profond pour parvenir à donner du mouvement et du relief à cette Calisto. Il y manque le tempétueux de cette œuvre baroque. Il y manque un travail en profondeur sur le texte et les enjeux pour permettre de trouver une nécessaire contemporanéité à ces histoires de dieux humaines, trop humaines. Le travail est certes délicat mais trop précieux, et à la différence d’un Strehler qui, pour la reprise de ses Noces en 2012, nous passionnait encore de vivacité, de violence et de folie, cela manque ici terriblement de relief.

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La Calisto au Festival d'Aix-en-Provence
© Monika Rittershaus

On assiste progressivement à une gentille production en costumes d’époque, qui sent finalement terriblement la naphtaline et dont la reproduction généralisée à notre époque justifierait sine die notre fuite des salles lyriques. Question de génération ? À la fin, quand Jupiter, pour se faire pardonner, immortalise Calisto en étoile dans le firmament, celle-ci le tue d’un coup de poignard. On ne peut s’empêcher de voir dans cet ajout de la metteuse en scène la marque un peu facile et triste d’une génération qui échappe à la transcendance d’un propos ou à l’urgence d’une contemporanéité à force de lui courir après. Vieille modernité ou nouvel académisme ? Manière bien superficielle en tous cas de répondre à Catherine Clément et sa Défaite des femmes à l’opéra. Dans le fond, on eût préféré la version sans coup de poignard final. Et à la place, on eût sincèrement plaisir et curiosité à trouver des réponses dans le moteur diégétique même de l’œuvre, les mains directement dans le cambouis.

Mettre les mains dans le cambouis autant par des ajouts plus pertinents que par une analyse scrupuleuse de la partition, c’est précisément ce à quoi s’emploie Sébastien Daucé à la tête de son Ensemble Correspondances qui depuis deux ans s’est attelé seul à l’adaptation de l’œuvre de Cavalli aux murs de l’Archevêché. C’est-à-dire qu’il gonfle l’orchestre de 6 à 33 musiciens et l’augmente d’une écriture en cinq parties et d’autres pièces du compositeur. Le résultat est généreux, opulent et sans cesse nuancé. Daucé, toujours en lien avec le plateau, épouse chacune des inflexions théâtrales de cette Calisto qui devient ainsi aussi climatique que chacune des parcelles de la Côte-d’Or pour les vins de Bourgogne.

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La Calisto au Festival d'Aix-en-Provence
© Monika Rittershaus

Et que de répondant sur scène avec un bien beau plateau vocal jusque dans les seconds rôles – même si on attend plus d’ouverture pour la Calisto de Lauranne Oliva encore jeune et que la Diane de Giuseppina Bridelli est un peu lâche. Anna Bonitatibus offre un grand moment dans son air à Calisto après l’avoir défigurée, tout en mélancolie et dans un parfait mezzo qui s’éteint au fur et à mesure, dessinant la forclusion progressive du sentiment. De toutes parts, on observe un art consommé de la ligne de chant préfigurant une forme de bel canto.

Mais quel dommage que toutes ces qualités soient aplanies dans une proposition scénique relativement fade, bien loin des coups de poing dans le ventre ressentis lors de précédentes éditions de ce Festival d'Aix-en-Provence ou pendant le merveilleux Billy Budd venu dangereusement concurrencer cette Calisto cet après-midi.

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