Le choix de présenter le cycle complet Má vlast (Ma patrie) de Smetana n’est pas anodin pour un orchestre comme celui-ci : fondé en 1999 par le chef Daniel Barenboim et l’intellectuel Edward Said, le West-Eastern Divan Orchestra accueille en son sein des musiciens israéliens, arabes, turcs, iraniens et espagnols. L’interprétation par un ensemble multiculturel d’une musique qui vante la richesse d'un patrimoine unifié est un symbole fort, et ce malgré l’absence de son fondateur Barenboim, souffrant, remplacé par le jeune Thomas Guggeis.

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Thomas Guggeis
© Cyriakus Wimmer

La cohésion de l’ensemble marque assez rapidement les esprits : on entend se profiler un son d’orchestre rond et homogène, qui ne semble jamais passer en force dans les tuttis orchestraux les plus fournis et ne verse pas dans d’inutiles démonstrations de force et de brillance. Cette cohérence est d’autant plus appréciable dans un cycle symphonique comme celui-ci, où Smetana fait interagir chacun des six poèmes avec les autres, reprenant tel ou tel motif ou thème avant une conclusion triomphale dans le dernier, Blaník. Guggeis opère clairement le choix d’une certaine continuité entre les différentes parties. C’est ainsi qu’on entend une Vltava (fameuse Moldau dans sa terminologie allemande) ample et généreuse. Là où, quand cette pièce est prise séparément dans un programme, certains tendent à mettre en avant des couleurs plus crues, le chef sculpte avec soin les phrasés des violons, demande à la grosse caisse de se fondre dans l’orchestre et n’atermoie pas dans la partie nocturne, avec un tempo soutenu. Si un certain immobilisme s’installe parfois dangereusement, on saisit la pertinence de ce choix en entendant le reste de cette lecture.

Ainsi dans Vysehrad, le tout premier poème, Guggeis construit patiemment les lignes de chant aux cordes, tire des harpes et plus tard des cuivres un jeu plein par des attaques rondes, tout comme il exige des clarinettistes des pianissimos extrêmes. Dans Sárka, qui relate la cruelle légende d'une femme trompée par son amant qui se venge des hommes et les massacre tous, le maestro allemand cherche toujours plus d’amplitude et de largeur de son mais sans mollesse aucune, tant la vigueur collective qu’affiche l’orchestre appelle presque Brahms ou Bruckner. Cela n’empêche pas quelques moments de rupture : dans le quatrième poème, une fugue savamment agencée contraste avec une polka aux accents slaves marqués, amplifiée par une palette de nuances toujours plus large.

Clôturant le cycle, Blaník permet de savourer plus en longueur les qualités individuelles de musiciens dont on ne pourra citer le nom en l’absence de leur mention sur la note de programme de la Philharmonie. Particulièrement mis en valeur, le hautbois solo rayonne par un timbre riche et un legato parfait, auxquels répondent dans un superbe dialogue champêtre flûte, cor et clarinette qui semblent tous louer le repos du guerrier en attente d’un nouveau combat – tel que mentionné par Smetana. Le grand thème de Vysehrad développé dans la Vltava ressurgit ici avec une flamboyance et un héroïsme maîtrisés, porté par un Guggeis finalement peu démonstratif au podium mais d’une impeccable précision, droit dans ses bottes. On ne regrettera nullement ce remplacement de dernière minute !

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