Pour le concert de lancement de saison de l'Ensemble intercontemporain à la Cité de la musique, Pierre Bleuse a décidé de mettre l'arrangement à l'honneur. Le compositeur et arrangeur Michael Jarrell présente deux réductions pour grand ensemble : l'une de son concerto pour piano Reflections, l'autre de la Symphonie n° 4 de Mahler. Un défi de taille, commandé par le directeur artistique de l'EIC dans le cadre du week-end « Mahler Perspectives », que Jarrell relève grâce à sa grande maîtrise de l'orchestration.
Intitulé Reflections II et magistralement interprété par Hideki Nagano, l'arrangement de son concerto pour piano initialement créé par Bertrand Chamayou accompagne l'auditeur dans les méandres mystérieux du monde des pensées. Les trois mouvements oscillent entre réflexion et reflet, comme l'indique la polysémie du titre.
De l'introduction de l'œuvre se dégage une sensation d'oppression. Le piano insiste sur des notes répétées dans un esprit presque spectral tandis que l'ensemble souligne, comme une ombre, chaque harmonie. Chaque transition entre les quatre parties (vif-lent-vif-lent) se fait aussi naturellement qu'un cheminement réflexif. On retiendra la délicatesse absolue du dernier passage calme, dans lequel les pizzicati sans hauteur des cordes dialoguent avec quelques notes aiguës égrainées par le piano. Celles-ci finissent par former un accord sur lequel s'éteint le soliste, abandonné progressivement par les autres instruments.
Dans la continuité, le deuxième mouvement s'ouvre sur des accords sibyllins qu'Hideki Nagano phrase avec beaucoup d'intensité tout en laissant une belle place à la résonance et au silence. Il est bientôt rejoint par l'ensemble qui entretient chacune des notes de l'harmonie dans un équilibre parfait auquel veille Pierre Bleuse. Le calme fait place à l'angoisse, cristallisée dans un grand crescendo orchestral. Une texture frémissante s'en fait la résonance et achève le mouvement par un moment éthéré dans lequel le temps semble suspendu.
Le finale rapide naît d'un chaos où aucun instrument n'est sur la même longueur d'onde. Pour le soliste, il s'agit du moment le plus virtuose. Toujours en fuite vers l'avant, comme pris dans une course poursuite, Nagano fait vivre la tension par des fusées de notes parfaitement maîtrisées. En revanche, on aurait aimé encore plus de nervosité de la part de l'EIC qui manque de tranchant dans ce mouvement tumultueux. L'énergie continue dont fait preuve Pierre Bleuse efface les contrastes et limite l'amplitude dynamique de l'ensemble.

L’arrangement d’une œuvre aussi monumentale et célèbre que la Symphonie n° 4 de Mahler représente un véritable défi, tant pour le compositeur que pour l’auditeur. Le premier doit accepter de ne pas pouvoir faire sonner l'œuvre comme sa version originale, quand le second doit accepter de décentrer son écoute pour accueillir l'arrangement sans tenter de le juger comme s'il s'agissait de la partition initiale.
Michael Jarrell a quand même cherché à retrouver l'épaisseur de l'orchestre mahlérien « en trichant », selon ses propres mots retranscrits dans le programme de salle. Le grand ensemble comporte donc cinq violons, trois altos, trois violoncelles, une contrebasse, une harpe, les cuivres et bois par deux (sauf les clarinettes, au nombre de trois).
Le premier mouvement ne se révèle pas aussi riche et abouti que les deux suivants. Michael Jarrell teste ici la limite du grand ensemble qui peine à insuffler la profondeur nécessaire aux thèmes des cordes lors de l'exposition. Le chef tente de pallier cette lacune par un lyrisme exacerbé, mais l'effet échoue, tout comme les passages pastoraux de la petite harmonie qui manquent de contraste pour déployer pleinement leur efficacité théâtrale.
Le deuxième mouvement s'en sort mieux. Plein de contrepoint, l'arrangement de Jarrell sublime les associations de timbres, en en renforçant certaines. Le violon en scordatura de Diego Tosi trouve naturellement sa place, même si Pierre Bleuse aurait pu appuyer davantage le côté moqueur dans le jeu de l'ensemble.
Le troisième mouvement, déjà très intimiste chez Mahler, est une parfaite réussite. Les cordes, avec la contrebasse en pizzicati, sont d'un velouté exceptionnel que hautbois, cors et bassons rejoignent avec la même qualité. Pierre Bleuse emmène ses musiciens dans les plus fines nuances entre calme, luminosité et mélancolie. La petite harmonie aussi émouvante que juste brille grâce à l'excellence de ses musiciens.
Le lied orchestré (issu du Knaben Wunderhorn) ajoute à la difficulté de l'arrangement de cette Symphonie n° 4 avec la question de la balance entre la voix et l'orchestre. Michael Jarrell dans l'écriture et Pierre Bleuse à la direction trouvent un bel équilibre qui permet de garder toute la joie enfantine et la fougue de l'œuvre dans ce finale. La soprano française Elsa Benoit déploie une voix chaleureuse et nourrie, au vibrato marqué, qui sied parfaitement à son atmosphère bucolique et légère.