Il y a de bons concerts, il y a de grands concerts et, très rarement, des concerts exceptionnels. Celui donné dans la très belle église Saint-Germain-d'Auxerre de Vault-de-Lugny par l’Ensemble Correspondances placé sous la direction de Sébastien Daucé et offrant un programme centré sur les Membra Jesu Nostri de Dietrich Buxtehude appartient très clairement à cette dernière catégorie.
Dirigeant un chœur de chambre regroupant dix merveilleux chanteurs et un petit ensemble instrumental d’une phénoménale subtilité (à commencer par les exquises interventions des violonistes Josèphe Cottet et Béatrice Linon), Sébastien Daucé est le meilleur guide qu’on pourrait souhaiter dans cet ouvrage fascinant du grand compositeur baroque d’Allemagne du Nord. En sept cantates, Buxtehude fait des membres du Christ agonisant sur la croix (pieds, genoux, mains, flanc, poitrine, cœur, visage) l’objet d’autant de moments de dévotion et de méditation.
Dans ce cycle si original et profondément marqué par le piétisme qui inspirera plus tard Johann Sebastian Bach, le contraste est souvent saisissant entre la douceur et la sérénité de l'écriture musicale d'une part, et d'autre part le texte passionné (basé sur de brefs extraits de la Bible et des poèmes médiévaux dus à Arnaud de Louvain) où la souffrance de Jésus, souvent décrite d’une façon hyperbolique et morbide, se trouve transformée en extase du croyant. Cette opposition est particulièrement frappante dans la troisième cantate Ad manus où s’oppose à la violence du texte franchement macabre (où le fidèle se repaît du sang coulant des plaies du Sauveur) la sereine confiance qu’exprime une musique d’une infinie délicatesse.
Les cantates du cycle s'articulent toutes les sept selon un même schéma, commençant par une sonate instrumentale et se poursuivant avec un concerto vocal pour chœur sur des versets bibliques. S'ensuivent trois arias pour une à trois voix d'après les poèmes d'Arnaud de Louvain, avant une reprise du concerto vocal. Mais après les quatre premières cantates, le public qui remplit l’église claire et belle (et à l’acoustique parfaitement adaptée à ce type de musique) aura droit à ce qu’il faut bien appeler un moment de grâce.
Sébastien Daucé a décidé d’intercaler ici le Klaglied, cette déploration écrite en 1674 par Buxtehude sur la mort de son père. Cette brève pièce d’une ineffable beauté, toute de grave et touchante simplicité, bénéficie d’une interprétation proprement exceptionnelle de la part de Lucile Richardot sortie du chœur qu’elle réintégrera ensuite. Éblouissante de sensibilité, d’émotion et d’intelligence, capable des plus impalpables pianissimos comme des fortes les plus francs, la mezzo met ici son timbre boisé si particulier, avec ses graves d’acajou et ses aigus si libres, entièrement au service de cette musique si grave et si humaine.
Avant de terminer le cycle de cantates de Buxtehude, l’Ensemble Correspondances offre encore au public des Rencontres musicales de Vézelay le bref motet Die mit Tränen säen, dû à Heinrich Schütz et qui reprend le célèbre texte du Psaume 126 évoquant « ceux qui sèment dans les larmes et moissonneront dans la joie ».
C’est un triomphe véritable et mérité que recueillent tous les remarquables interprètes de l’Ensemble Correspondances et leur chef à l’issue de ce merveilleux moment de musique. Et c’est un beau bis, le motet Selig sind die Toten de Schütz, qui conclura ce concert exceptionnel.
Le voyage de Patrice a été pris en charge par les Rencontres musicales de Vézelay.