C’est la foule des grands soirs qui remplit le Palais des Beaux-Arts ce vendredi pour entendre Sergey Khachatryan, adulé par le public bruxellois depuis son triomphe au Concours Reine Elisabeth il y a vingt ans de cela dans un Premier Concerto de Chostakovitch qui avait durablement marqué les esprits. Qui plus est, cette apparition du virtuose arménien permet de l’entendre jouer pour la première fois l’exceptionnel Stradivarius Kiesewetter de 1724 mis à sa disposition pour une durée de dix ans par la Stretton Society berlinoise, instrument précédemment confié à Maxim Vengerov et Augustin Hadelich.

Sergey Khachatryan, le BNO et Michael Schønwandt à Bozar © Belgian National Orchestra - Marin D.
Sergey Khachatryan, le BNO et Michael Schønwandt à Bozar
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C’est le Concerto de Brahms qu’a choisi pour se produire celui qui est certainement l’un des meilleurs violonistes de l’heure. Dans l’« Allegro non troppo » initial, Khachatryan se montre proprement exceptionnel. Combinant une maîtrise technique hors du commun (justesse infaillible, conduite d’archet phénoménale, vibrato toujours maîtrisé, beauté de la sonorité de tous les instants) à une compréhension parfaite de l’œuvre, il opte pour une approche refusant toute séduction superficielle, un style à la fois sobre et intense, rappelant beaucoup, dans sa façon d’allier austérité et flamme, la manière d’un autre illustre ancien lauréat du Concours Reine Elisabeth, le rigoureux Leonid Kogan.

C’est peu dire que le soliste ne cesse de tutoyer les sommets dans ce premier mouvement, y compris dans une cadence de Joseph Joachim qui clouera plus d’un auditeur sur son siège. Spontanément applaudi par un public proprement ébahi après cette fabuleuse entrée en matière, Khachatryan aborde les deux mouvements suivants avec le même sérieux et la même rigueur, mais avec un peu moins de réussite sur le plan interprétatif. Superbement introduit par le hautboïste Dimitri Baeteman, l'« Adagio » manque de ce caractère doux-amer et de ces pincements au cœur que d’autres ont su y trouver – même si Khatchatryan évite heureusement toute tentation de sentimentalisme excessif. Quant à l'« Allegro giocoso » final, l’interprète ne réussit pas vraiment à y exprimer la joie bondissante et insouciante qu’on aurait aimé y trouver. Reste que ces réserves demeurent toutes relatives par rapport à une prestation du plus haut niveau.

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Sergey Khachatryan, le BNO et Michael Schønwandt à Bozar
© Belgian National Orchestra - Marin D.

Il convient de mêler à ces louanges Michael Schønwandt qui se montre un partenaire parfait à la tête d’un Belgian National Orchestra des grands jours, dont il obtient une superbe sonorité d’ensemble, l’orchestre au grand complet jouant avec une remarquable homogénéité et une superbe profondeur sonore sans jamais écraser le soliste.

On se doit ici de féliciter le chef associé de la phalange bruxelloise d’avoir encadré ce pilier du répertoire par deux belles et bien plus rares œuvres de Robert Schumann. C’est ainsi que le concert a commencé sous les meilleurs auspices par une très belle interprétation de l’Ouverture de Manfred, où le chef est parvenu à instaurer un climat toujours juste, rendant aussi bien l’impétuosité que les couleurs parfois étonnamment sombres de la partition.

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Le BNO et Michael Schønwandt à Bozar
© Belgian National Orchestra - Marin D.

Mais Schønwandt et le BNO vont faire mieux encore dans la Troisième Symphonie « Rhénane » en clôture du concert. D’un bout à l’autre de cette si belle œuvre, le chef danois trouve infailliblement le climat juste, celui d’un romantisme spontané et sans lourdeur. On retiendra l’irrésistible élan juvénile imprimé au « Lebhaft » initial, la légèreté et la fraîcheur du scherzo, le charme du « Nicht schnell » médian. Dans le fameux quatrième mouvement « Feierlich », inspiré par les splendeurs de la cathédrale de Cologne, le chef tire de véritables sonorités d’orgue de vents en très grande forme, avant de conclure en beauté sur un finale vif et dansant.

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