La veille de la réouverture nationale du 19 mai pour les lieux de culture et salles de spectacle, l’Opéra Orchestre National Montpellier a accueilli quelques journalistes et professionnels, à l’occasion d’une représentation de Werther captée en vidéo. Celle-ci fait aussi figure de générale pour l’unique séance ouverte au public le 20 mai, un public extrêmement restreint avec seulement un peu plus de 200 places disponibles.

Werther à l'Opéra Comédie de Montpellier
© Marc Ginot

Si deux sièges sur trois sont neutralisés pour les spectateurs à partir du balcon vers les étages supérieurs, le parterre est en effet investi intégralement par les musiciens. Afin de maintenir la distanciation physique, les cordes sont placées en fosse et débordent sur les premiers rangs des habituels fauteuils d’orchestre, le chef situé au centre se tournant de temps à autre vers les vents et percussions derrière lui, disposés en un grand arc-de-cercle. Sous la baguette de Jean-Marie Zeitouni, on découvre alors une acoustique à la fois volumineuse et riche, mais aussi très détaillée et qui permet d’entendre distinctement chaque pupitre, à l’opposé du son parfois démesuré qu’on a régulièrement entendu sortir de la fosse de l’Opéra Comédie, après ses travaux de rénovation au début des années 2010. On profite en tout cas avec gourmandise de l’occasion, la direction du chef canadien étant un régal, ceci dès une ouverture très romantique, même amoureuse pendant plusieurs mesures conduites avec lenteur et douceur.

Werther à l'Opéra Comédie de Montpellier
© Marc Ginot

Créée à l’Opéra National de Lorraine et reprise par José Dario Innella sur la scène montpelliéraine, la production de Bruno Ravella est d’une grande élégance et d’une agréable sobriété. Un vaste salon aux peintures défraîchies avec son coin en fond de plateau, une ouverture de part et d’autre et un plafond qui se soulève par moments et laisse voir un joli paysage en arrière-plan : l’ensemble de cet ingénieux dispositif, réalisé par Leslie Travers, autorise de rapides passages entre ambiances intérieure et extérieure. Si le coup d’œil sur le panorama rocheux est somptueux et bien à propos lorsque Werther chante « Ô nature, pleine de grâce… », le procédé est moins convaincant lorsque le plafond se soulève à la verticale, pointe en bas et petites ampoules allumées, en fin de premier acte pendant son duo avec Charlotte… Le supposé morceau de ciel étoilé fait un peu timbre-poste ! Mais ce n’est qu’un détail à relever au cours de tableaux bien différenciés, comme dans l'acte III où l’une des ouvertures part en fuite au centre, comme un couloir, le cadre de scène étant fermé de part et d’autre par des parois noires, avant un quatrième acte conclusif débarrassé de tout dispositif – à l’exception du plafond suspendu sous la neige qui tombe et d’une banquette sur laquelle Werther se meurt.

La distribution vocale est d’excellente tenue, à commencer par Mario Chang dans le rôle-titre, ténor guatémaltèque vainqueur du Concours Operalia 2014. Le chanteur inquiète un peu à l’entame, on entend certes un ténor délicat et élégant, mais il allège tous ses premiers aigus en voix mixte, ayant alors du mal à rivaliser avec l’orchestre. Rapidement toutefois, l’instrument sait délivrer aussi des notes forte à pleine voix : plus tard son grand air « Pourquoi me réveiller… » est plein de vigueur, et sa diction est globalement de belle qualité pour le seul non-francophone de l’équipe.

Marie-Nicole Lemieux (Charlotte)
© Marc Ginot

En prise de rôle dans Charlotte, Marie-Nicole Lemieux impressionne favorablement avec une élocution claire et un style appliqué, un chant policé. Bien sûr la contralto canadienne enfle à plein volume certaines notes quand il le faut, avec tout de même quelques aigus en limite du cri à l’acte III (« Entends ma prière… »). Jérôme Boutillier (Albert) fait entendre quant à lui un grain de baryton d’une extrême noblesse, développant un somptueux legato sur le souffle, à la prononciation ciselée. On est malheureusement moins convaincu par la Sophie de Pauline Texier, une partie basse du registre étant peu séduisante à l’oreille, même si on apprécie des aigus plus agréables et une musicalité sans faille. Plus jeune que les nombreux vétérans qu’on a vus passer dans ce rôle, Julien Véronèse est un Bailli idéal, et les deux compères Schmidt et Johann sont également bien en place, tenus respectivement par Yoann Le Lan et Matthias Jacquot.


Concert chroniqué en salle, lors de la représentation du 18 mai réservée à la presse.

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