Après sa création à l’Opéra de Lausanne au mois de février, le Mitridate mis en scène par Emmanuelle Bastet fait escale chez son coproducteur, l’Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie. Il s’agit d’ailleurs ici de l’entrée au répertoire de cet opus mozartien, donné bien plus rarement que ceux de la trilogie Da Ponte et autre Flûte enchantée.

<i>Mitridate</i> à Montpellier &copy; Marc Ginot
Mitridate à Montpellier
© Marc Ginot

Dans la scénographie très élégante aux tons majoritairement bleutés de Tim Northam, les personnages font vivre cet opera seria dominé par les sentiments amoureux. Le roi du Pont Mitridate prévoit d’épouser Aspasia, convoitée également par les deux fils du roi, Farnace et Sifare. C’est Sifare qu’aime Aspasia, tandis que le cœur d’Ismene bat pour Farnace. Mais ce dernier est prêt à toutes les trahisons, y compris en s’alliant avec l’ennemi romain, avant d’opérer un soudain et salutaire revirement final. À l’exception notable de la mort de Mitridate, le dénouement alors est heureux, lorsque Farnace se réconcilie avec Ismene et qu’Aspasia et Sifare peuvent enfin s’unir.

Composé par un Mozart de 14 ans, à l’inspiration mélodique déjà géniale, l’opéra est véritablement une suite d’airs séparés pour chacun des solistes, et pourrait tourner rapidement à la monotonie, voire l’ennui. Mais ce n’est pas le cas ici, grâce à une direction d’acteurs variée et bien en adéquation avec les affects des protagonistes. Entrant ou sortant régulièrement à vue depuis les côtés du plateau, quatre volées d’escalier permettent de moduler l’espace de jeu, tout comme des rideaux de ficelles montant ou descendant des cintres, sur lesquels sont projetées les magnifiques lumières réglées par François Thouret, variant entre ambiances diurne, nocturne et crépusculaire.

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Mitridate à Montpellier
© Marc Ginot

Mais Mitridate est aussi affaire de voix, avec une succession d’airs da capo, d’une longueur souvent démesurée et d’une telle difficulté technique que l’on peut songer en souriant à une bonne dose d’espièglerie chez le compositeur adolescent. La distribution vocale réunie à Montpellier relève le défi haut la main, à commencer par Marie Lys en Aspasia, personnage central autour duquel tournent Mitridate et ses deux fils. Après avoir fait apprécier sa jolie pulpe vocale sur le récitatif liminaire, son air d’entrée « Al destin, che la minaccia » constitue un redoutable passage de bravoure, où l’interprète se déploie sur toute l’étendue, d’un grave poitriné mais bien exprimé à un aigu brillant, vocalisant avec précision et amenant de légères variations dans sa dernière reprise.

Lauranne Oliva endossait les habits d’Aspasia à Lausanne, mais chante ici Ismene, rôle moins sollicité mais qui conserve tout de même trois airs. La soprano possède une agréable fraîcheur de timbre, ainsi qu’une souplesse naturelle qui lui permet de maîtriser les séquences les plus fleuries, conduites avec abattage et émaillées de certains aigus enflés pour les moments de plus grande fureur.

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Mitridate à Montpellier
© Marc Ginot

Côté masculin, le rôle-titre de Mitridate est dévolu à Levy Sekgapane, qui mène avec délicatesse et legato son air d’entrée « Se di lauri il crine adorno ». Les intervalles abyssaux sont négociés avec précision et une musicalité sans faille, qualité d’ailleurs commune à l’ensemble du plateau. Cette voix typiquement rossinienne ou mozartienne s’est sensiblement élargie ces dernières années, et le ténor fait merveille dans la variation des nuances, entre une admirable mezza voce pour la reprise de son air d’entrée et davantage d’énergie et de projection pour les séquences de colère, comme son air du troisième acte « Vado incontro al fato estremo », aux graves toutefois parfois un peu discrets.

En Sifare, le contre-ténor Key’mon Murrah possède un tel aigu aérien qu’on le classerait volontiers dans la catégorie sopraniste, la voix flottant avec ravissement dans ses moments les plus élégiaques. La mezzo Hongni Wu marque un peu moins en Farnace, au chant très propre mais d’une ampleur réduite et d’une couleur qui n’évoque pas d’emblée le méchant de l’histoire. Rescapés, avec Lauranne Oliva, des représentations suisses, le contre-ténor Nicolò Balducci reprend son rôle d’Arbate d'une voix homogène et agile, et le ténor Remy Burnens (Marzio) parait moins assuré dans ses ascensions vers le registre aigu.

Dans la fosse, l’Orchestre national Montpellier Occitanie est en très bonne forme ; mentionnons en particulier la très belle prestation du cor solo mis à longue et difficile contribution pendant l’air de Sifare « Lungi da te, mio bene ». Au pupitre, Philippe Jaroussky anime la partition avec énergie et des tempos bien marqués et plutôt rapides, donnant à entendre un Mozart particulièrement vif au cours des passages les plus virtuoses.


Le déplacement d'Irma a été pris en charge par l'Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie.

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