En ce début d’année 2025, les salles de concert parisiennes rivalisent d’ambition pour célébrer le centenaire de la naissance de Pierre Boulez, avec des œuvres aussi rares que Répons (par l'Ensemble intercontemporain à la Philharmonie de Paris) ou Pli selon pli (par Les Siècles au Théâtre des Champs-Élysées). Pierre Bleuse lance avec ferveur le premier concert hommage dans la grande salle Pierre Boulez qui n’a jamais aussi bien porté son nom. Pour parvenir à l’incontournable du répertoire boulézien qu’est Répons, la programmation de ce lundi soir invite à la balade entre œuvre de jeunesse, inspiration durable et création. Autant de résonances préalables au work in progress qui clôt le concert.
Même si le contenu ne s’en rapproche pas, le titre de la création mondiale de Charlotte Bray, Nothing Ever Truly Ends, synthétise la vision de Boulez. Dans l’esprit du rituel convoqué par la compositrice, la pièce s’achève comme elle avait commencée. L’atmosphère mystérieuse met en valeur deux timbres structurants, le bol tibétain et le vibrato sur le chevalet, dispersé entre les instruments à cordes et qui marque particulièrement à l’écoute de la contrebasse. Le cymbalum se mêle aux sonorités métalliques des percussions et souligne l’orchestration ciselée de Bray. Malgré un climax contrastant, l’œuvre manque cependant de tension, les idées étant soit trop entretenues sur le temps long, soit énoncées trop rapidement.
Pour une autre forme d’hommage, la programmation de « l’EIC and friends » a fait appel à Pierre-Laurent Aimard – ancien membre de l’Ensemble – et Hideki Nagano, pour interpréter En blanc et noir de Debussy, compositeur que Boulez admirait. Entre les deux pianistes, l’osmose est forte mais les contrastes peu marqués.
En revanche, la Sonatine, œuvre du jeune Pierre Boulez, oscille tout de suite entre la profondeur des accords du piano et la rugosité des trilles de la flûte et autres motifs heurtés. Sophie Cherrier entretient la tension théâtrale et joue l’inertie en gardant une élocution chirurgicale dans les traits incisifs de plus en plus perçants. Pierre-Laurent Aimard, d’abord installé dans un dialogue plutôt lyrique, change bientôt de mode de communication et exalte les aspérités de la partition.
La flûte solo s’était déjà fait entendre au début du concert avec Mémoriale (…explosante-fixe… Originel), cette pièce dédiée à la mémoire de Lawrence Beauregard – membre de l’EIC. Le son chaleureux d’Emmanuelle Ophèle embrasse le halo délicatement créé par les cors, les violons, les altos et le violoncelle. Une œuvre à part, pleine de couleurs que Pierre Bleuse fait advenir en toute simplicité ; un moment suspendu qui annonce déjà Répons.

Autre « incise » avant la seconde partie : Messagesquisse. Jean-Guihen Queyras au violoncelle solo et les six violoncelles rendent les six sections de l’œuvre absolument passionnantes. Tout commence avec ces sons tuilés et ces résonances artificielles qui captivent instantanément. Devenant parfois magma, la vélocité virtuose de la seconde partie est galvanisante avant de se transformer en un murmure de trilles sur lequel se déploie un monologue intérieur du soliste entre pizzicati et sons frottés.
Pierre Bleuse dirige ensuite une version étonnante de Répons dans laquelle la souplesse du geste, transmise au matériau musical, rend l’écoute fluide et immersive. Selon la volonté du compositeur de spatialiser les six solistes, la harpe et le cymbalum sont situés au balcon, et les pianos et claviers de percussion au parterre ou derrière la scène. Sur celle-ci, Pierre Bleuse agence, équilibre.
Dans un répons, il y a le chœur et les solistes et, avec Pierre Boulez, il y a aussi l’électronique en temps réel qui donne à entendre un troisième parti, mis au point par Augustin Muller et Jérémie Henrot. D’abord l’orchestre, entre agitation et statisme (I), ensuite les solistes et l’électronique qui égrènent des arpèges et suspendent le temps (II). Le troisième mouvement est un spectacle sonore sans égal, une joute exaltée que les musiciens saisissent à bras le corps. Dans la « Section Scriabine » (V), les trilles des divers instruments se fondent les uns dans les autres à travers la salle comme une émanation enveloppante.
Dans toutes les situations, Pierre Bleuse arrive à faire respirer la masse orchestrale, une grande réussite qui donne du relief à ces effusions de sonorités captivantes (magistral Aurélien Gignoux au cymbalum). Répons s’achève sur le souvenir lointain des arpèges de solistes, comme l’empreinte éternelle de la mémoire de Pierre Boulez.