La « Marche nuptiale » issue du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn, qui retentit à chaque mariage dans la réalité comme au cinéma, est bien l'un des morceaux de musique classique les plus connus du grand public. Malgré cela, la célébration du soir à la Philharmonie en ce jeudi se fait en petit comité : des pans entiers des seconds balcons sont vides… Les noces, conduites par Dima Slobodeniouk, vont pourtant se révéler réjouissantes à plus d’un titre, tant au sein de l’Orchestre de Paris qu’entre ce dernier et Frank Peter Zimmermann, probablement l’un des artistes les plus extraordinaires de la scène actuelle.
Le sentiment qui domine après l’exécution de la suite orchestrale proposée à partir du Songe d’une nuit d’été est la justesse des équilibres et la grande clarté d’ensemble tout au long d’une partition délicate. Les départs, souvent périlleux car très exposés, sont toujours d’une synchronicité irréprochable. Le caractère épuré de la musique de Mendelssohn met en valeur tous les instruments (avec un coup de projecteur légèrement plus intense sur les bois, tous parfaits ce soir) grâce à une orchestration subtile toute en alliages de timbres. Slobodeniouk restitue avec raffinement mais sans complication cette écriture : en témoigne la fin de l’« Intermezzo », dont le caractère rustique n’est pas appuyé outre mesure, mais plutôt suggéré poétiquement.
Ce mouvement est le plus réussi. Après une « Ouverture » où le frétillement discret des violons paraît parfois trop concret et mécanique, manquant d’un phrasé qui donne du mystère aux croches, et un « Scherzo » dans lequel le contraste des attaques des même pupitres aurait pu être encore plus marqué, le chef se fait de plus en plus actif et construit un mouvement central tout en dialogue entre les pupitres de l’orchestre, insufflant un drame bienvenu. Difficile de sortir de cette effervescence en enchainant directement sur le « Nocturne », dont on aurait apprécié une poésie contemplative et voluptueuse plus affirmée même dans les passages agités. Le lyrisme est cependant bien présent, irrésistible, comme dans la partie centrale de la « Marche nuptiale », avec un élan léger qui précède la réexposition du thème bien connu, réexposition que Slobodeniouk enrichit auditivement en mettant en valeur tel trait de violon ou d’alto.
Pour une fois, le programme commençait par cette œuvre pour orchestre seul et non par le concerto avec soliste invité. C'est compréhensible : le Concerto pour violon d’Elgar est une odyssée de près d’une heure, dont la densité orchestrale peut parfois lasser jusqu’à l’overdose de musique. D’overdose il ne sera cependant jamais question ce soir, grâce à l’interprétation magistrale que propose Frank Peter Zimmermann.

Généreux en glissandos, le violoniste déploie une énergie à toute épreuve au service d’un discours fascinant. Enchainant les arpèges en toute décontraction, sa souplesse n’est jamais en défaut : l’artiste va même jusqu’à sautiller au cours d’un troisième mouvement qui semble ainsi une promenade de santé. Aucune désinvolture dans cette attitude : elle fait partie du jeu de Zimmermann, et n’est probablement pas étrangère à la qualité de son que ce dernier tire de son instrument, un Stradivarius à la sonorité très douce qui n’agresse pas l’auditeur malgré la sur-sollicitation du soliste. Anecdote insolite : Zimmermann joue le « Lady Inchiquin » qui appartenait jadis à un certain Fritz Kreisler, commanditaire et créateur du concerto pour violon… d’Elgar !
Capable de passer d’arabesques incisives à un lyrisme satiné (quel vibrato, à la fois large, généreux mais jamais lourdaud) d’une note à l’autre, le violoniste varie insensiblement les transitions et les attaques, au point qu’on attend la note suivante avec une impatience à peine contenue, pour être sans cesse émerveillé par l’inventivité et la technique du musicien. L’arrangement du Roi des Aulnes par Ernst donné en bis, avec ses quadruples cordes et ses trois voix entremêlées dans l’ostinato de la fuite, achèvera d’interroger le spectateur sur les limites du violoniste.
Et l’orchestre dans tout ça ? Après un Allegro pendant lequel Slobodeniouk se concentre avant tout sur la précision d’ensemble, au détriment parfois de l’équilibre sonore qui tire parfois trop vers l’orchestre, les deux mouvements suivants sont exemplaires de dialogue entre le soliste et l’orchestre. Tandis que Zimmermann se fond volontiers dans le son de la phalange lorsque sa partie l’y invite, l’Orchestre de Paris sait également se mettre en retrait pour colorer habilement la voix principale. La cadence qui conclut l’œuvre, durant laquelle la narration de Zimmermann irradie sur un tapis de pizzicati, est le moment le plus marquant du concert. Espérons que l'union entre le violoniste allemand et l'orchestre de la capitale perdurera au-delà de cette lune de miel !