Il s’en est fallu de peu pour que l’orage gâche la soirée. Heureusement, l’averse qui s’est abattue sur la tente du Gstaad Menuhin Festival peu après l’ouverture de La Flûte enchantée était d’assez courte durée. Assez de temps cependant pour nous rappeler combien monter un opéra sous une tente à la montagne relève d’une gageure au vu des aléas climatiques de la région et de la saison. Ce n’est plus un secret pour personne, alors que des projets privés ou publics sont dans les bacs, l’utilisation de l’immense tente pour les grands évènements du Festival revêt un air d’obsolescence… Et malgré sa reconversion pour l’occasion en foyer d’opéra avec faste et vastes draperies de velours noir, la grande halle de tennis attenante nous évoque davantage le salon de l’auto de Genève qu’un lieu culturel.

La Flûte enchantée au Gstaad Menuhin Festival
© Gstaad Menuhin Festival & Academy

L’événement climatique n’a en rien déstabilisé Christophe Rousset à la tête de ses Talens lyriques. La formation qui fête cette année ses trente ans témoigne par l’ampleur du projet ici déployé d’une vitalité certaine, mais le pari musical n’est relevé que de manière intermittente. L’interprétation entre ombre et lumière, qui pourrait être bateau pour La Flûte enchantée, nous fait pourtant saisir une véritable noirceur, tristesse et mélancolie de certains personnages, surtout dans les récitatifs. La solennité des passages avec Sarastro (l’impeccable Alexander Köpeczi) nous encourage à entendre ses aphorismes sous un nouvel angle. Les séries d’accords aux tempos posés ou étirés comme lors de la première entrée de la Reine de la nuit, ou encore les balancements orchestraux mozartiens particulièrement chaloupés installent un climat nocturne très introspectif – tempos étirés aux limites du décalage entre les cuivres et cordes dans le chœur des prêtres de l’acte II. Enfin, la mise en valeur de traits vifs et tranchants aux violons nous foudroie chaque fois, notamment dans l’air de la Reine de la nuit « Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen ». Et pourtant, malgré toutes ces qualités et le gage d’une fantaisie certaine derrière chaque solo, force est de reconnaître qu’il a été difficile de discerner une architecture suffisamment forte pour nous tenir en haleine durant tout l’opéra.

Sandrine Piau (Pamina) et Christoph Filler (Papageno)
© Gstaad Menuhin Festival & Academy

La distribution vocale s’étalonne sur ce qui relève globalement d’un manque de prise de risques. Il convient de noter combien cet exercice de l’opéra version concert, ou comme ici « mis en espace », peut s’avérer rédhibitoire pour les chanteuses et chanteurs qui ne sont pas particulièrement à l’aise sur scène, qui plus est lorsque la direction d’acteur reste quasi inexistante et qu’ils sont livrés à eux-mêmes. Ce qui n’était pas le cas de Christoph Filler (Papageno) ou de Markus Brutscher (Monostatos), proactifs dans leurs partitions buffa, relançant aux bons moments l’action qui pourrait par endroit trop s’étioler. Si Christoph Filler ne se ménage pas scéniquement tout au long de sa quête amoureuse, il eût été encore plus appréciable et surprenant que sa fantaisie scénique déteigne davantage sur une voix somme toute bien discrète. Le Tamino de Jeremy Ovenden comme la Pamina de Sandrine Piau nous laissent aussi distant dans leurs airs respectifs « Dies Bildnis ist bezaubernd schön » et « Ach, ich fühl’s, es ist verschwunden ! ». Il y a chez les deux beaucoup de maitrise, mais autant chez elle avec une voix relativement blanche, et chez lui dans un écrin vocal peu caractérisé, la fragilité devient plus une faiblesse qu’une force. Tous peuvent cependant compter sur un orchestre à l’écoute qui sait placer les voix comme dans une chrysalide sur le point de muer.

La Flûte enchantée au Gstaad Menuhin Festival
© Gstaad Menuhin Festival & Academy

Et puis il y a les vidéos et la mise en espace de Benoît Bénichou. Où quand il y a peu, c’est déjà trop. Des vidéos animées beaucoup trop illustratives, surexposées tout autour de l’orchestre, et surtout, une fois n’est pas coutume, très kitsch, mal réalisées, quasi pixelisées, entre vidéo de méditation YouTube et décor de jeu PlayStation. Ici des façades de temples imaginaires, là une forêt façon fantasy, ici encore les catacombes parisiennes, enfin une course dans les étoiles, copie de la proposition à la première apparition de la Reine de la nuit par Schinkel en 1815… Autant pour ces vidéos que pour la direction d’acteur, on regrettera là encore – et là surtout – que proposition artistique rime avec absence de prise de risques.

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