Après le Gewandhausorchester et Andris Nelsons la semaine passée, c'est un autre couple-star du monde symphonique qui vient investir la Philharmonie : le London Symphony Orchestra et son ex-directeur musical, désormais nommé « conductor emeritus », Simon Rattle.

Simon Rattle dirige le London Symphony Orchestra à la Philharmonie © Antoine Benoit-Godet/Cheeese
Simon Rattle dirige le London Symphony Orchestra à la Philharmonie
© Antoine Benoit-Godet/Cheeese

La Quatrième Symphonie de Chostakovitch qu'ils interprètent ce soir en impose : à bien des égards, les accents mahlériens de la partition y sont gommés pour en faire ressortir le glacial effet de masse. Ainsi dans le premier mouvement, où les glissades des cordes sont réduites au minimum, mettant en évidence la crudité des intervalles.

Le LSO est parvenu à un degré d'osmose avec « leur » chef qu'ils n'ont pas à envier à leurs collègues de Leipzig. Rattle montre peu, se faisant moins expressif, moins « bernsteinien » que dans ses années berlinoises ; et l'orchestre fait preuve d'une limpidité sonore qui leur permet de s'écouter, de réagir et de garder leur cohésion même dans cet effectif pléthorique. Là où l'orchestre de Leipzig se distinguait par la différenciation de ses pupitres, tel un paysage fourmillant d'espaces variés, ici, c'est un monolithe de métal, dont il a le toucher (froid, sans être rugueux) et l'aspect monochrome. Seule exception à cette remarquable unité de timbres et de tons : les petits caquets des bois, dans le premier mouvement, traités avec beaucoup d'humour, conservant leur caractère ricanant et bondissant alors même que le champ des dissonances s'élargit.

Et ce n'était là que le premier mouvement ! Dans le deuxième, c'est justement Mahler qui ressurgit sous la baguette du chef britannique. Les vents ont le beau rôle dans ce Moderato con moto, avec cette ritournelle initiale à laquelle on pourrait presque trouver des accents de musique juive. Rattle les conduit avec beaucoup de justesse dans ce parcours labyrinthique, l'ensemble ne se perdant que très rarement en chemin, tandis que les sursauts des cordes font parfois irruption avec autorité et flamme (magnifique trouvaille que cet accord parfait renversé, magnifié par les musiciens).

Du finale, on retiendra principalement le démentiel effet de masse de l'apothéose conclusive, où le London Symphony Orchestra se fait tantôt volcan en éruption, tantôt avion supersonique : on avait rarement entendu un orchestre jouer aussi fort, dans un tel déchaînement de force brute. La conclusion, glaçante, conjugue des intervalles mineurs joués pianissimo avec le célesta, et met à l'honneur la clarté de timbres de l'orchestre, nous plongeant dans une torpeur cauchemardesque, de laquelle on ne saurait dire avec précision si l'on s'est réveillé ou non, au sortir des applaudissements.

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Simon Rattle dirige le London Symphony Orchestra à la Philharmonie
© Antoine Benoit-Godet/Cheeese

En première partie, l'orchestre avait joué un fabuleux second rôle dans le Concerto pour violon de Brahms (malgré quelques excentricités d'articulation peu convaincantes dans l'introduction du premier mouvement), porté par une Isabelle Faust au sommet de son art. On avait été quelque peu dubitatif de son programme Schumann à la Cité de la Musique ; dans Brahms, elle trouve l'autorité et la théâtralité nécessaires pour contrebalancer son jeu tout en finesse. En témoigne cette entrée initiale, prise à toute vitesse, ou plutôt sans s'appesantir, dans un ahurissant sens du texte ; ou ces effets de pianissimos détimbrés, sur la touche, réussis parce que préparant une surenchère d'accents fortissimo s'emballant dans la délirante souplesse rythmique et physique de la violoniste.

Autres curiosités : la cadence de Busoni, se substituant à celle de Joachim (tellement canonique que traditionnellement imprimée directement sur la partition), et faisant intervenir les instruments de l'orchestre ; ou ce bis inattendu de Charles-Auguste de Bériot, compositeur de l'école franco-belge du XIXe siècle, dont les études s'entendent plus souvent dans les conservatoires que dans les salles de concert. Sous les doigts d'Isabelle Faust, son caprice La Consolation sonne enfin comme ce qu'il est : une brillante pièce de concert, mettant en évidence par ses similitudes avec le Concerto de Brahms l'importance pour le compositeur allemand de la fameuse école française du XIXe siècle.

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