Les chiffres sont éloquents : l’Orchestre Français des Jeunes a 40 ans, il a accueilli 2800 jeunes musiciens, 91% d’entre eux sont devenus musiciens professionnels et 59% sont en poste dans des orchestres professionnels. Le ministre de la Culture qui a porté l’orchestre sur les fonts baptismaux en 1982, Jack Lang, était au premier rang du public qui assistait dimanche dernier au concert anniversaire donné dans la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris, dans un programme « made in France » idéal pour apprécier le cru 2022 de l'OFJ – cru exceptionnel à tous égards. L’actuelle ministre, quant à elle, brillait par son absence !

On ne sait qui a eu l’excellente idée de confier en 2021 la direction musicale de l’OFJ au chef danois Michael Schønwandt, mais le bientôt septuagénaire « chef principal » de l’Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie est la preuve vivante de ce qu’un chef expérimenté peut faire d’une phalange par définition composite, hétéroclite : un orchestre homogène, avec un son, une cohésion d’ensemble qui pourraient en remontrer à bien des formations professionnelles.

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Michael Schønwandt et l'Orchestre Français des Jeunes à la Philharmonie
© William Beaucardet

Dès l’ouverture du Carnaval romain de Berlioz, on sait que la poésie, la transparence de la texture orchestrale prendront le pas sur la démonstration tapageuse : le cor anglais de Gabriel Chauveau évoque la douceur d’un crépuscule romain et bat des records à l’applaudimètre quand le chef le fait lever devant une salle qui ressemble plus ce soir à un stade de football où tous les supporters soutiennent la même équipe !

Adèle Charvet s’est fait porter pâle cet après-midi pour la pièce de résistance de ce concert-anniversaire : le Poème de l’amour et de la mer de Chausson. Elle est remplacée au pied levé par Marie-Laure Garnier, une jeune Guyanaise distinguée l’an dernier comme « Révélation lyrique » par les Victoires de la Musique classique – d’une petite voix faible et quasiment inaudible, une annonce diffusée dans la Philharmonie précise qu’elle n’a eu qu’une courte répétition avec l’orchestre et le chef juste avant le concert. Quelques grincheux trouveront bien à expliquer ainsi une certaine prudence de la part de la soliste comme du chef à l’amorce de ce somptueux poème symphonique avec voix. Mais Marie-Laure Garnier ne tarde pas à déployer une présence et une projection qui en imposent : le timbre, les couleurs de ce soprano fruité font penser à certaines de ses illustres aînées américaines. Michael Schønwandt ne lambine pas, ne transforme pas l'ouvrage en une scène d’opéra wagnérien : de nouveau il allège, aère l’orchestre de Chausson.

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Michael Schønwandt, Marie-Laure Garnier et l'OFJ à la Philharmonie
© William Beaucardet

Après l’entracte nous attend la création d’une œuvre brève (8 minutes) écrite pour la circonstance par la compositrice française Suzanne Giraud, intitulée Liesse. Ce genre de commande « officielle » ne donne pas toujours lieu à des chefs-d’œuvre – c’est vrai d’aujourd’hui comme d’hier – et le tout début de l’œuvre, un grand unisson d’orchestre, nous le fait redouter. Mais très vite Suzanne Giraud installe une virtuosité instrumentale, des thèmes virevoltants, sollicite les jeunes musiciens dans toutes leurs capacités. Ils vont chanter, crier, taper du pied et des mains, dans une réelle atmosphère de… liesse. On pense au Mambo de Bernstein, le bis favori des orchestres du Sistema vénézuélien. Tonnerre d’applaudissements pour Suzanne Giraud et l’orchestre.

S'ensuit une œuvre d'une autre compositrice, D’un matin de printemps (6 minutes) de Lili Boulanger qui, malgré la brièveté de sa vie et de sa carrière, a eu le bon goût de laisser quelques pièces d’orchestre qu’il est aisé de placer dans un programme de concert. Écrite alors que la tuberculose la ronge, en 1917 lors d’un second séjour à la Villa Médicis à Rome, la pièce n’est pas d’une originalité folle mais Lili a manifestement apprivoisé Debussy et Ravel et Schønwandt lui donne un relief scintillant.

Michael Schønwandt et l'Orchestre Français des Jeunes à la Philharmonie © William Beaucardet
Michael Schønwandt et l'Orchestre Français des Jeunes à la Philharmonie
© William Beaucardet

La deuxième suite de Daphnis et Chloé n’a évidemment pas été choisie par hasard pour clore ce concert anniversaire : c’est l’étalon-mètre de tous les orchestres. Le chef danois et ses jeunes musiciens vont nous bluffer, privilégiant encore la poésie, la transparence, la clarté du tissu orchestral. Même si le « lever du jour » initial est un peu surexposé – on est déjà en plein midi ! – et si la danse générale finale, pourtant admirablement graduée et conduite, manque un peu de cette folie qui soulève l’auditeur de son siège. Très longue ovation, pupitre par pupitre, un petit mot sympathique de Michael Schønwandt. Et le bis qui s’imposait : la Joyeuse Marche de Chabrier.


[Note du 15 décembre 2022 : Une version précédente de l'article faisait erreur sur le nom du musicien au cor anglais dans Le Carnaval romain. Nous adressons toutes nos excuses aux artistes concernés et nos remerciements au lecteur attentif qui nous a aimablement avertis.]

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