Connaît-on opus 1 plus fracassant, plus éloquent que la Passacaille d’Anton Webern ? Entre maîtrise et originalité, cette pièce pour orchestre enfonce si profondément les clous du postromantisme qu’elle scellera bientôt pour son auteur le cercueil de la tonalité, non sans parallèle avec ce que fera son mentor et futur comparse de la Seconde École de Vienne, Arnold Schönberg, après ses Gurre-Lieder. Fracassante, donc, cette Passacaille qui envoûte l’auditeur par son tiraillement constant entre ascétisme et sensualité, entre rigueur et abandon. C’est justement à côté de cet abandon à la sensualité que passe Mikko Franck, trop dans la retenue et le contrôle de l’Orchestre Philharmonique de Radio France pour que sourde le charme vénéneux de cette pièce dans l'Auditorium de la Maison de la radio. Sans doute est-ce pour éviter un déchaînement de passion empreint d’un hybris hors-sujet que le maestro a préféré peindre une nuit plus contemplative, sibélienne, presque transfigurée ; mais l’épisodique et l’anecdotique auront ce soir phagocyté le vice sous-jacent, privant du même coup l’auditeur de ces dix minutes d’apnée webernienne.
En revanche, le terme d’apnée aura caractérisé fort à propos le Concerto pour violon en mi mineur de Mendelssohn donné ensuite, toujours pas pour l’auditeur – l’œuvre ne suscite a priori pas cette réaction – mais bien plutôt dans le jeu sans respiration de María Dueñas. Non pas que la main soit crispée ou que la contraction des muscles soit telle que l’on puisse craindre la crampe, mais la musique, en manque d’oxygénation, ne parvient pas à s’épanouir ni à s’exprimer pleinement. La faute à un vibrato très excessif et omniprésent qui fait plutôt gémir que chanter l’instrument dans les passages lyriques, et à une façon de mettre dans chaque note une intention qui surcharge de romantisme une musique qui en est déjà tant imprégnée. Un peu plus de laisser-aller, de flegme, de désinvolture aurait sans doute permis à la fleur mendelssohnienne, restée ce soir à l’état de bouton, d’ouvrir grand ses pétales. On aura préféré la violoniste dans le registre de la virtuosité technique, les surpiqures brodées sur les tuttis orchestraux, les arabesques ornant la fin du premier mouvement et la vivacité du troisième étant nettement plus convaincantes.

« L’étude de l’évolution du langage musical d’un compositeur est un exercice passionnant », écrivait récemment notre confrère Pierre Michel. On ne peut qu’approuver ; on se serait bien adonné à l’exercice avec le Concerto pour neuf instruments du même Webern qui ouvrait le programme... si toutefois l’œuvre n’avait pas été supprimée du concert : censée apparaître après l’entracte, celle-ci a tout simplement disparu, sans autre forme de communication.
La seconde partie de concert n'est donc consacrée qu’à la Cinquième Symphonie dite « Réformation » de Mendelssohn. Mikko Franck façonne le premier mouvement avec la solennité d’un bâtisseur de cathédrale, préfigurant les grandes arches d’un Schumann ou d’un Bruckner : très architecturé, l’Andante introductif prend une dimension wagnérienne aussi dense que lisible, porté par ses lumineux appels de cuivres vers la clarté des cordes du Philhar' (dont les motifs ascendants ne sont pas sans rappeler le thème du Graal dans Lohengrin), avant que l’Allegro n’exprime une joie plus humaine.
Le troisième mouvement impressionne également par son clair-obscur intimiste : au gré de la dynamique orchestrale contenue et de la droiture des prises de paroles instrumentales, au gré de la pudeur assumée par le chef, la phalange convoque une émotion d’autant plus poignante qu’elle fait vibrer les pierres d’un édifice construit avec rectitude. Malgré un finale mal préparé et une apothéose quelque peu dévoyée, le choral luthérien qui y figure aura tout de même pu compter sur un contrepoint rendu solaire par les entrées franches des pupitres, et d’où le spectre de Bach aura plus d’une fois ressurgi.