Plus de 20 ans séparent les deux sonates que Johannes Brahms a consacrées au violoncelle. La première, de 1865, vient juste après les deux premiers quatuors pour piano et cordes et surtout le grand Quintette op. 34. Il faudra attendre 1886, juste après la Quatrième Symphonie et juste avant le Double Concerto pour violon et violoncelle, pour retrouver un imposant bouquet de chefs-d'œuvre dans la création brahmsienne de partitions de musique de chambre : la Seconde Sonate pour violoncelle et piano côtoie une Deuxième Sonate pour violon et piano et un Troisième Trio avec piano. Ce sont donc bien deux univers qu'exposent ces deux œuvres et que doivent restituer les interprètes du soir au Théâtre des Champs-Élysées : un duo inattendu entre deux artistes qu'une génération sépare, le tout juste trentenaire Edgar Moreau et son aîné le pianiste Nelson Goerner.

Edgar Moreau / Nelson Goerner © Edouard Brane / Jean-Baptiste Millot
Edgar Moreau / Nelson Goerner
© Edouard Brane / Jean-Baptiste Millot

La longue phrase élégiaque qui ouvre, au violoncelle, la Première Sonate, paraît presque timide, comme si Edgar Moreau n'osait pas prendre un élan qui tardera à s'affirmer, malgré le beau soutien que lui réserve Nelson Goerner. Le premier mouvement manque d'ardeur, de cette animation interne que Brahms réclame, le pianiste n'osant manifestement pas bousculer son partenaire. Dans les deuxième et troisième mouvements, qui regardent vers Beethoven, le violoncelle en reste à une lecture bien uniforme de son et de ton, trop impersonnelle pour marquer l'auditeur, tandis qu'on devine le pianiste prêt à bondir, à enflammer son clavier, mais ne s'y osant pas.

Se sont-ils parlé en regagnant brièvement les coulisses entre les deux œuvres de Brahms ? C'est l'impression qu'on a lorsque le duo aborde la Deuxième Sonate, comme si le coach Goerner avait boosté le jeune joueur Moreau, l'invitant à prendre des risques, oser s'affirmer. Il est vrai que cet opus 99, avec ses quatre mouvements imposants, est d'une autre envergure. Le pianiste argentin a manifestement décidé de prendre les commandes de l'œuvre, et l'on ne saurait reprocher à l'éminent brahmsien qu'il est de nous faire profiter – enfin ! – de l'ampleur de sa palette sonore, de toute la puissance de l'éloquence d'un Brahms de pleine maturité. C'est d'ailleurs le compositeur lui-même qui avait créé l'œuvre à Vienne au piano.

Edgar Moreau reste malheureusement en deçà du romantisme généreux de son partenaire. Plus soucieux d'éviter les nombreux pièges techniques que recèle la partition, il ne consent à se libérer un peu que dans le sublime « Adagio affettuoso », à se risquer à l'effusion, à élargir l'ambitus de ses nuances. Mais la fatigue le rattrape à l'occasion et l'on se pose la question de l'opportunité de faire jouer ces deux sonates en continu.

Le menu est décidément (trop ?) copieux, car arrive après l'entracte la Sonate pour violon et piano de César Franck – exacte contemporaine de la Seconde Sonate de Brahms – dans la transcription pour violoncelle qu'en a faite en 1888 le violoncelliste Jules Delsart, avec l'accord du compositeur. On espère qu'Edgar Moreau va démontrer une personnalité plus affirmée dans cette œuvre qu'il a déjà jouée et enregistrée avec succès au côté de David Kadouch. Nelson Goerner lui fait le cadeau d'un piano aussi somptueux que virtuose, mais le déséquilibre entre violoncelle et piano persiste. Est-ce dû à la transcription elle-même, qui nous prive de l'éclat solaire du violon pour lequel Franck avait conçu cette architecture imparable ? Quoi qu'il en soit, le défi de ces trois sonates était imprudent, sinon impossible.


Ce concert était co-organisé par Piano**** et le Théâtre des Champs-Élysées.

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