« Ravel et l’Espagne » : voici un thème on ne peut plus emblématique pour le concert d’ouverture du Festival Ravel, illustrant l’intimité profonde qui unit le compositeur natif de Ciboure avec la culture et la musique espagnoles. Un programme proposé par l’orchestre Les Siècles qui joue Ravel sur les instruments de l’époque, restituant ainsi au plus près les prodigieuses sonorités et alliances de timbres imaginées par le compositeur. Et dans quel lieu ! Dans la merveilleuse église de Saint-Jean-de-Luz – celle-là même où se sont mariés en 1660 Louis XIV et l’Infante d’Espagne – avec son immense retable en bois sculpté et ses trois étages de galeries.

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Les Siècles dans l'église de Saint-Jean-de-Luz
© Komcebo

Pour commencer, une rareté : L’ Heure espagnole, sorte de comédie musicale pleine de fantaisie narrant les aventures de la belle Concepcion qui, en l’absence de son horloger de mari, reçoit la visite simultanée de son jeune amant-poète, d’un riche soupirant et d’un muletier qu’elle a tôt fait de transformer en déménageur d’horloges puis en nouvel amant…

Placés sur une estrade devant l’orchestre, les cinq chanteurs incarnent avec brio leurs personnages respectifs : dotée d’un tempérament de feu tout comme son personnage de Concepcion, Isabelle Druet est parfaite de rouerie et de musicalité. Si John Heuzenroeder est un horloger vocalement un peu pâle, Benoît Rameau, Thomas Dolié et Nicolas Cavallier sont parfaits tant musicalement que théâtralement.

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L'Heure espagnole dans l'église de Saint-Jean-de-Luz
© Komcebo

Le cadre d’une église pourrait sembler incongru pour donner une œuvre aussi théâtrale, mais le décorum espagnol du chœur de l’église (retable, lustres, tableaux…) constitue un écrin visuel finalement assez adéquat ! Tout comme les amants qui se cachent dans les horloges, les nombreuses statues du retable deviennent elles aussi des personnages immobiles, témoins muets des turpitudes de la belle et de ses soupirants.

Quant à l’orchestre Les Siècles dirigé pour la première fois par le chef français Pierre Bleuse, il brille dans cette œuvre qui fourmille de nombreuses trouvailles d’orchestration telles que les trois métronomes figurant le tic-tac des horloges, le xylophone ou encore le sarrusophone… Seul bémol à ce moment délectable : si l’acoustique de l’église est parfaite pour l’orchestre, elle se révèle peu propice à l’intelligibilité du texte, en dépit de la bonne prononciation des chanteurs.

En seconde partie, trois musts du répertoire pour orchestre de Ravel. Avec tout d’abord Alborada del gracioso (Aubade du bouffon) dans lequel le bassoniste fait merveille. Avec ensuite la Rapsodie espagnole, dont les trois premiers mouvements (Prélude à la nuit, Malagueña, Habanera) sont interprétés avec subtilité et sensualité, avant que l’orchestre ne déchaîne toute sa maestria dans une étourdissante et diabolique Feria conclusive.

Pierre Bleuse dirige Les Siècles à Saint-Jean-de-Luz © Komcebo
Pierre Bleuse dirige Les Siècles à Saint-Jean-de-Luz
© Komcebo

Puis vient le Bolero. Pierre Bleuse attend que le silence soit complet pour donner le signal du départ à la caisse claire qui commence par un pianissimo impalpable. Le rituel hypnotique peut commencer, et la magie noire ravélienne va opérer. Grâce aux sonorités ensorcelantes des instruments issus de la facture française du début du XXe siècle, grâce à la virtuosité des merveilleux solistes et grâce à une direction inspirée, nous vivons ce Bolero comme si nous l’entendions pour la première fois ! La mélodie lancinante et le rythme immobile déroulent leurs charmes vénéneux, les solos des bois et des vents rivalisent de sensualité, l’alchimie des timbres de l’orchestration dévoile ses sortilèges. Pierre Bleuse marque de tout son corps les appuis rythmiques et organise la progression lente et inexorable de l’intensité sonore, jusqu’à la jubilatoire apothéose de la modulation finale… Et le public de faire un triomphe à l’orchestre et à chacun de ses solistes.

Mais le spectacle n'est pas tout à fait fini : à la sortie de l'église, sur la place Louis XIV, on aura la surprise de se retrouver mêlé à la foule assistant au traditionnel toro de fuego, spectacle pyrotechnique parodiant la corrida. Étonnant clin d’œil faisant écho à la Feria de la Rapsodie espagnole

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