Battre à deux temps lents ou à six temps rapides l’introduction du Concerto pour piano n° 1 de Johannes Brahms, that is the question ! Ce soir pour Edward Gardner c’est à deux, soulignant ce que ce Maestoso a de plus grave et solennel, de plus sévère. Malgré le visage glabre et juvénile du compositeur encore dans sa vingtaine lorsqu’il écrit cette œuvre, le Brahms que nous donne à entendre le London Philharmonic Orchestra au Théâtre des Champs-Élysées est des plus intimidants ; au point – s’il on en juge par le malaise vagal d’une auditrice au parterre – d’en faire une syncope ? Sans doute pas, bien que la musique semble en effet quelque peu étouffée, à l’étroit dans cette gaine de raideur créée par Gardner dans ces premières mesures de conception trop géométrique.

On note également tout au long de l’œuvre une tentative de fusion des timbres très brahmsienne dans l’âme, mais malheureusement inopérante : exclusivement fondée sur des contrebasses ronflantes et des timbales très mates, sourdes et frappées par des baguettes excessivement feutrées, cette fusion reste de façade. Peinant ainsi à faire déborder la musique de la forme, l’orchestre se tiendra en retrait et ne parviendra malheureusement pas à faire surgir le flux musical censé submerger le public et le piano.

Hélène Grimaud © Mat Hennek
Hélène Grimaud
© Mat Hennek

Confié à l’expertise d’Hélène Grimaud, ce dernier se pare quant à lui de ses plus beaux atours. Largeur du spectre, liberté interprétative, dépassement total de la technique : l’instrument prend sa dimension la plus mystique et abstraite, tout à la fois d’une poésie et d’une cohérence rares. Seulement – et c’est un comble dans cette œuvre relevant presque de la symphonie avec piano obligé tant l’orchestre y tient une place prépondérante, tant le soliste doit épouser l’élan et se fondre dans la masse – le piano d’Hélène Grimaud se montre très individualiste et malheureusement pas concertant pour un sou, reléguant au rang d’accessoire la phalange londonienne.

Alors que le premier mouvement est systématiquement interrompu dans sa course par les interventions presque sacrales de la pianiste qui, à force d’afféteries, finit par monopoliser le discours, le deuxième, traînant en longueur à la manière d’une interminable homélie, se complaît finalement dans le statisme. Si ces excès sont entendables en récital, cadre dans lequel ils peuvent tenir lieu de style et d’interprétation, ils le sont en revanche beaucoup moins dans un concerto – a fortiori celui-là – où la réussite naît peut-être d’une légère mise en retrait, d’une absence de démonstration, d’un pas de côté que l’on n’a pas constaté ce soir.

Passé cette déconvenue, la soirée brahmsienne se poursuit avec la Première Symphonie du compositeur. À l’exception d’un premier mouvement très massif, aux temps forts caricaturalement accentués et au tempo trop souple, cette lecture conclut le concert sur une note nettement plus convaincante. Dès le deuxième mouvement, les bois jusque-là plutôt raides se mettent à chanter, sans excès mais avec phrasé ; au troisième, cette spontanéité retrouvée se transmet à l’ensemble des musiciens qui se laissent aller à plus de naturel et de légèreté, délivrant un hymne pastoral aussi touchant que poétique, sans aucune zone d’ombre, véritablement Poco allegretto e grazioso.

Enchaîné sans interruption, le dernier mouvement est quant à lui l’occasion pour l’orchestre d’offrir enfin la démonstration musicale que le public était en droit d’attendre de cette illustre formation : pizzicati au cordeau, solo de cor aérien, duos et trios enchanteurs, le LPO, comme soudain décomplexé, parvient à faire oublier sa raideur passée. De même, Edward Gardner trouve la pulsation naturelle, la conduite spontanée dans les suspensions et l’apesanteur ouatée des cimes alpines. C’est sans urgence mais avec engagement que le chef mène ses troupes, au terme d’un grand et poignant élan lyrique, à la brillante et majestueuse trombonade finale. Requinqué par cette époustouflante conclusion, l’auditeur appréciera d’autant plus la dynamique Cinquième Danse hongroise du compositeur, offerte en guise de rappel avec la fièvre et la jeunesse qui auront parfois manqué à ce concert.

***11