Moins de deux semaines après la prestation remarquée de Jakub Hrůša à la tête des Wiener Philharmoniker au Théâtre des Champs-Élysées, on était heureux de retrouver le jeune chef tchèque cette fois-ci avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Comme avec les Viennois, Hrůša dirigeait un programme tout entier voué à la musique du XXe siècle (Ligeti, Janáček et Lutosławski) mais d’une originalité nettement plus affirmée quant au choix des œuvres.

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Le Chœur de Radio France dirigé par Roland Hayrabedian
© Olivier Barrière

Centenaire du compositeur hongrois oblige, le concert s’ouvre avec une des pièces les plus emblématiques de György Ligeti, rendue populaire par l’usage que Stanley Kubrick en a fait dans 2001, L'Odyssée de l’espace Lux Aeterna pour un chœur à seize voix, ce soir celles des membres du Chœur de Radio France préparées et dirigées par Roland Hayrabedian. La force expressive, l’impact émotionnel de cette œuvre brève (7 minutes) de 1966 qui joue sur les micro-intervalles et les frottements harmoniques restent saisissants. Mais l’acoustique plutôt sèche de l’Auditorium de Radio France surexpose une formation cueillie à froid qui mettra quelques instants à trouver ses repères et sa cohésion.

Jakub Hrůša prend la suite, aux commandes d'un Orchestre Philharmonique de Radio France qu'il connaît bien pour en avoir été le jeune chef assistant en 2005-2006 et l’avoir souvent dirigé depuis, et en terrain de connaissance comme il va brillamment le démontrer.

La cantate de Janáček L’Évangile éternel est une authentique découverte, dont on se demande pourquoi elle est si rarement programmée : moins longue et spectaculaire que la Messe glagolitique qu'elle précède d'une dizaine d'années, elle est comme un concentré de l’art du compositeur morave. Jaroslav Vrchlický qui fut le traducteur tchèque de Goethe, Dante, Schiller ou Victor Hugo est l’auteur de ce Věčné evangelium (au sein du recueil Fresques et tapisseries, 1891) qui s’inspire du moine calabrais du XIIe siècle, Joachim de Flore. Cet « évangile éternel » enthousiasme Janáček qui conçoit, en 1913, une « légende musicale » sur ce thème et sous ce titre.

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Jakub Hrůša dirige L'Évangile éternel de Leoš Janáček à Radio France
© Olivier Barrière

La signature orchestrale de Janáček est évidente dès les premières mesures, avec des bois et des cuivres coruscants qui fleurent bon l’essence populaire du matériau thématique. L’œuvre convoque deux solistes vocaux, un ténor incarnant le personnage de Joachim de Flore, la soprano (et le violon solo) représentant l’Ange de l’Apocalypse et son Évangile de l’amour. L’écriture de la partition du ténor fait immanquablement penser au Gregor de L’Affaire Makroupoulos. L’Écossais Nicky Spence fait complètement oublier ses origines tant il possède vocalement et dramatiquement son « rôle ». Le soprano céleste de Kateřina Kněžíková et le violon sensible d’Hélène Collerette lui font un contrepoint ému. Revenu en grande formation, le Chœur de Radio France, remarquablement préparé (en particulier pour la diction de la langue tchèque) par Irène Kudela, confère à l’œuvre toute sa puissance spirituelle.

Dans le Concerto pour orchestre (1954) de Lutosławski qui conclut le concert, Jakub Hrůša joue à fond de la malléabilité de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, et imprime un élan spectaculaire à une œuvre qui a valu la reconnaissance internationale à son auteur. Sans la renier, celui-ci avouera en 1973 : « Je n’aime pas beaucoup cette œuvre… mais elle a conservé une certaine fraîcheur ».

Jakub Hrůša à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France © Olivier Barrière
Jakub Hrůša à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France
© Olivier Barrière

On ne peut pas s’empêcher de faire le parallèle avec un autre Concerto pour orchestre, celui de Bartók, qui le précède d’une dizaine d’années. Ce n’est pas faire offense au Hongrois que de trouver dans l’œuvre du Polonais une structure, une inspiration, un travail sur l’orchestre plus impressionnants, plus fouillés. Comme Bartók, Lutosławski use de matériaux folkloriques mais il reprend, varie, transfigure des formes issues de la musique baroque avec une imagination mélodique et rythmique que Jakub Hrůša exalte avec une précision irrésistible et un élan jubilatoire. Et l’Orchestre Philharmonique de Radio France fait une nouvelle fois la preuve que, sous une baguette inspirée, il a peu de rivaux dans le répertoire du XXe siècle.

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