Peu après l'introduction de Benjamin François pour les auditeurs du direct de France Musique, Patricia Kopatchinskaja entre sur la scène de l'auditorium de la Maison de la radio. On nous a prévenus : le Concerto pour violon de Schönberg « ne sera jamais une musique facile d'écoute ». En est-on si sûr ? Certes, le dodécaphonisme et la complexité de l'orchestration ont de quoi dérouter l'auditeur mal averti. Mais la forme de l'œuvre porte en elle les grands marqueurs du genre (le premier mouvement est presque une forme-sonate, d'héroïques cadences de la soliste ponctuent les premier et troisième mouvements)... Et quel spectacle pour les amateurs de violon ! Patricia Kopatchinskaja fait montre d'une technique instrumentale proprement démentielle. Des premières attaques du mouvement initial (où la transmission du poids du bras droit dans la corde, optimale, permet à un son dense mais toujours respirant de s'épanouir) jusqu'aux redoutables doubles et triples cordes du finale, parfois combinées à des harmoniques artificiels, où la main gauche de la soliste bondit d'un bout à l'autre du manche avec une infaillible sûreté, c'est un festival de prouesses techniques. À côté de ce concerto, les Caprices de Paganini font presque figure d'études de conservatoire.

Patricia Kopatchinskaja en répétition avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France © Christophe Abramowitz / Radio France
Patricia Kopatchinskaja en répétition avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France
© Christophe Abramowitz / Radio France

La sûreté instrumentale de « PatKop » se double d'un sens du spectaculaire et de la dramaturgie qui aide à dépasser l'aspect purement cérébral de la partition. On sent la musique apprise, comprise, digérée puis restituée sans pédagogisme, par la seule force de l'instinct. Qu'on ne se méprenne pas ; derrière les atours un peu fantasques de cette artiste hors normes et parfois clownesque se cache un des cerveaux les plus brillants du violon actuel, ainsi qu'une des techniciennes les plus accomplies de l'histoire de son instrument.

La seconde partie nous donne l'opportunité d'entendre Tarmo Peltokoski, 22 ans à peine, diriger par cœur l'Orchestre Philharmonique de Radio France dans un répertoire plus ordinairement l'apanage de chefs aguerris : une longue suite d'extraits du Ring des Nibelungen de Wagner, assemblés par Henk de Vlieger. Le talent d'orchestrateur du maître de Bayreuth fait de cette réduction sans chanteurs une œuvre bien sûr taillée pour la scène ; mais cela reste de la musique de fosse, qui demande le talent et les compétences d'un chef d'opéra... dont le tout jeune chef n'a pas su faire montre ce soir.

Loading image...
Tarmo Peltokoski en répétition avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France
© Christophe Abramowitz / Radio France

Le voilà qui laisse s'installer sans réagir de surprenants décalages entre les cordes et les vents, parfois au sein d'un seul pupitre – notamment cet instant lunaire où les premiers violons ne parviennent à trouver de pulsation commune pendant près d'une minute. La faute à une battue un peu molle et, on imagine, à l'idée que, par la simple écoute des musiciens, la pulsation va se stabiliser d'elle-même. Pas de chance, ce n'est pas un quatuor de Haydn mais une suite symphonique pour une bonne centaine d'instrumentistes. On passera sur les embarrassants moments d'exultation physique du chef (le climax de la marche funèbre de Siegfried, par exemple), dont la gestuelle tonitruante parle sans doute plus au public qu'elle ne communique aux musiciens.

Heureusement, le Philhar' peut compter sur ses excellentes individualités pour garder le cap et même redresser la barre. La petite harmonie effectue un travail d'orfèvre, notamment lors des « murmures de la forêt », où la clarinette pétulante de Jérôme Voisin répond au hautbois charnu et bucolique d'un Olivier Doise particulièrement inspiré. Les percussions, en pleine maîtrise de l'acoustique pourtant pas si simple de l'auditorium, rendent la plongée dans le Nibelheim de L'Or du Rhin avec une précision cinématographique. Les cuivres empruntent le même chemin, même si on peut leur reprocher des débuts plutôt timides dans le prélude de L'Or du Rhin et une balance un peu brouillonne dans certains forte. Les cordes offrent un rendu fort homogène, merveilleusement guidés par Nathan Mierdl, violon solo à peine plus âgé que Peltokoski – mais ô combien plus convaincant.

***11