La saison des Passions de Bach bat son plein ! Après les concerts à Paris de Leonardo García Alarcón, Václav Luks ou encore Philippe Herreweghe, c’est au tour du ténor britannique Mark Padmore et de l’Orchestra of the Age of Enlightenment de livrer au Théâtre des Champs-Élysées leur version de la « petite » Passion selon saint Jean de Bach (en opposition à la « grande » saint Matthieu) dans un effectif modeste où les solistes assurent également les parties du chœur, le tout sans chef d’orchestre.

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Mark Padmore
© Marco Borggreve

Avec une petite quinzaine d’instrumentistes pour une dizaine de choristes, solistes compris, on se retrouve face à un ensemble où la lisibilité musicale et la clarté dramatique prévalent sur la pure puissance sonore et expressive, et ce dès les fameuses mesures introductives et ces dissonances qui résonnent comme les premières souffrances du Christ. Le tempo est soutenu, symbolisant une course effrénée vers l’abîme, et le chœur se livre petit à petit, affichant une subtile gradation de nuances. Les chanteurs font face à l’orchestre, formant un arc de cercle avec au centre et comme point de jonction l’orgue positif et les basses (deux violoncellistes et une contrebassiste), permettant une communication instantanée en l’absence de chef. Le rôle de courroie discret mais très efficace qu’opère la violon solo Maggie Faultless est à cet égard indispensable, ainsi que la souplesse musicale des basses. En ressort une solide entente entre les musiciens : hormis un petit décalage vers la fin, la précision et la fluidité de l’ensemble sont particulièrement louables.

La performance des solistes vocaux marque aussi la soirée. Il n’est pas si commun que ceux-ci assurent les chœurs en plus des arias pour lesquelles ils sortent du rang et viennent se positionner au milieu du plateau. Mark Padmore, tout d’abord, campe un Évangéliste très théâtral : silences appuyés, rigueur dans la diction du texte, respect de la ponctuation confèrent à son personnage une stature centrale autour de laquelle gravitent les différents solistes, à commencer par le baryton Raoul Steffani (le Christ), exilé à côté de l’orchestre et qui donne parfaitement la réplique à Padmore. La réussite vocale la plus notable est celle de Paula Murrihy : lors de ses deux arias, la mezzo-soprano séduit par l’expressivité de sa voix, avec des médiums riches et un souffle continu qui émeut dans le « Es ist vollbracht » où l’accompagnement subtil de la viole suspend le temps un instant. Toujours du côté des voix féminines, la soprano Mary Bevan ne s’apitoie pas dans la dernière aria de la Passion, « Zerfliesse, meine Herze » ; la chanteuse porte alors un soin particulier à trouver un point d’entente avec les traversistes qui l’accompagnent… après sa première aria où le tempo élevé lui avait causé quelques difficultés d’articulation et un léger retard sur l’orchestre.

Là se situent les réserves que nous pourrions apporter à cette interprétation dénuée de tout sensationnalisme. La clarté des intentions dramatiques et musicales se fait parfois au détriment de l’expression de sentiments trop contenus. L’émotion étreint peu à l’écoute de ces chorals élagués où le choix de ne pas faire durer les points d’orgue, écourtant toutes les valeurs et brisant la moindre résonance, casse quelque peu la mystique qui entoure ces petits bijoux. De même la balance sonore paraît parfois déséquilibrée, effaçant toute la complexité polyphonique et harmonique conférée à l’orchestre par Bach (notamment du côté des bois). L’absence de chef amène une ultra réactivité bienvenue mais qui efface par endroit tout le mystère de cette Passion, chacun veillant à ne pas sortir de la route, quitte à y tracer un chemin un peu trop droit.

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