Klaus Mäkelä aime les programmes-fleuves, il en a fait la démonstration dès sa prise de fonction comme directeur musical de l'Orchestre de Paris. Celui qu'il nous propose cette semaine n'échappe pas à la règle, au risque d'une forme d'indigestion.

Il y a quelque chose qui cloche dès la lecture du programme : la présence de Richard Strauss dans un programme français conçu autour du Requiem de Fauré, pour commémorer le centenaire de la mort du compositeur ariégeois. Parce que le poème symphonique du jeune Strauss s'intitule Mort et Transfiguration ? Parce qu'il est contemporain de la composition du Requiem ? À l'épreuve du concert, cela ne fonctionne pas non plus surtout en ouverture de programme. L'œuvre est longue, requiert le grand orchestre, mais, en dépit du « programme » en quatre parties enchaînées qui sous-tend ce poème symphonique, se révèle passablement désordonnée.
Klaus Mäkelä s'y montre d'une prudence qui confine à l'indifférence, d'abord dans le Largo initial (« L'homme malade proche de la mort »), bien peu mystérieux, les solos des vents se succédant sans lien organique. L'enchaînement avec les épisodes molto agitato qui suivent ne semble provenir d'aucun mouvement, d'aucune intention. C'est brouillon, ça part dans tous les sens, le jeune Strauss fait rugir les cuivres de son orchestre, mais le chef ne se résout pas à assumer les climax quasi-hollywoodiens qui parsèment la partition. L'Orchestre de Paris brille de tous ses feux mais la « transfiguration » finale est dépourvue de l'opulence sonore qu'on attendait.
Klaus Mäkelä et ses musiciens vont en revanche se montrer infiniment plus convaincants dans une autre œuvre de jeunesse, L'Ascension, ces quatre « méditations symphoniques » que Messiaen écrit à peine âgé de 25 ans. Chacun de ces « mouvements » commente une citation extraite des Écritures et possède une orchestration propre. Tous les éléments du langage de Messiaen y sont déjà éloquents : le mode archaïque des trompettes évoquant la « Majesté du Christ demandant sa gloire à son père », ces accords qu'on retrouve dans toute l'œuvre ultérieure à l'orgue comme à l'orchestre (dans la Turangalîla en particulier), des « couleurs » sonores caractéristiques comme dans le second volet (Messiaen note « gris et mauve avec un peu de jaune pâle »). Les volutes des vents et de la cymbale annoncent les chants d'oiseaux qui nourriront les œuvres ultérieures, tandis que les cordes, le plus souvent dans des unissons évocateurs du grand orgue, énoncent avec une ferveur et une chaleur admirables la « prière du Christ montant vers son père ».
La seconde partie va nous apporter son lot de surprises. D'abord avec un Requiem de Fauré en version XXL : l'entrée du double chœur en fond de scène et dans les gradins au-dessus de l'orchestre impressionne d'emblée – on ne doit pas être loin des 150 chanteurs –, les deux solistes Jean-Sébastien Bou et Sarah Aristidou se placent presque dans les cintres, tandis que Klaus Mäkelä prend place devant un grand orchestre, celui que prévoit la version dite de 1900.
Avec un tel effectif, on peut se douter qu'on sera loin, très loin du propos initial de Gabriel Fauré qui voulait absolument rompre avec les autres grands requiems du XIXe siècle, Brahms et Verdi en particulier. Il écarte d'ailleurs les épisodes les plus spectaculaires, pas de Dies iræ, pas de Benedictus, mais au contraire de grandes plages de douceur contemplative comme le Pie Jesu et le In paradisum final. De nouveau, comme dans Mort et Transfiguration, le chef semble ne pas savoir quel parti prendre. Impossible de faire chanter une telle masse chorale dans des nuances inférieures à mezzo forte, impossible de percevoir le mystère, le frémissement de l'Introït comme plus tard du In paradisum, mais les contrastes de tempo, de mouvement entre les différentes séquences pourraient au minimum être plus accusés, les mélanges instrumentaux si étonnants entre cordes graves et vents plus sollicités.
L'ensemble paraît étrangement statique, extérieur, ce qui est un comble et surtout un contresens pour ce Requiem dont Fauré lui-même disait : « On a dit qu'il n'exprimait pas l'effroi de la mort, quelqu'un l'a appelé une berceuse de la mort. Mais c'est ainsi que je sens la mort : comme une délivrance heureuse, une aspiration au bonheur d'au-delà, plutôt que comme un passage douloureux. » On mettra sur le compte d'une méforme passagère et/ou de l'éloignement les interventions peu réussies des deux solistes.
À Toulouse le 9 octobre dernier, Towards the Lights de Thierry Escaich précédait le Requiem de Fauré. Ce soir, il le complète à merveille, fascinant le public par le foisonnement d'un discours où s'entremêlent toutes les voix de l'orchestre, du chœur et du grand orgue. Escaich cite discrètement Fauré et nous conduit enfin à une extase mystique dont on aura peine à redescendre dans les froidures de novembre.