Maurice Ravel, compositeur ou orchestrateur ? C’est avec les chefs-d’œuvre du second que François-Xavier Roth et ses musiciens poursuivent leur cycle à la Philharmonie de Paris : Une barque sur l’océan (à l’origine conçue pour le piano) précédait notamment la Rapsodie espagnole (composée à partir d'une Habanera écrite pour deux pianos) et bien sûr les Tableaux d’une exposition de Moussorgski.
La recherche d’authenticité qui a fait la réputation des Siècles s’incarne, dès les premières mesures d’Une barque, dans la singularité des timbres des instruments : le hautbois nasillard se marie à la perfection à la trompette bouchée, les violons osent jouer les sommets expressifs sans vibrato, le cor anglais se montre incroyablement puissant. Cette richesse inouïe nous ferait presque regretter de ne pas mieux distinguer les thèmes individuels des instruments, car la direction de Roth s’attache à faire ressortir des effets de flux et de reflux – dans les nuances comme dans les dynamiques – davantage que les mélodies qui jalonnent l’œuvre.
Enchaînée presque sans respiration, la Rapsodie espagnole poursuit ce travail de contrastes, avec des nuances extrêmes, des piano les plus délicats (les cordes qui ouvrent le « Prélude à la nuit ») aux forte presque brutaux des tutti. Ces surprises toujours renouvelées pourraient finir par lasser, si elles n’étaient pas par la suite teintées d’ironie : le cor anglais de la « Malagueña » est d’un kitsch hispanisant assumé, le tempo plutôt lent de la « Habanera » donne au mouvement des airs ampoulés. La « Feria », jubilatoire, est l’occasion d’opposer des percussions implacables, très (trop ?) présentes, à un thème de cor anglais qu’on entend rarement aussi jazzy. Car les vents sont à la fête dans la danse finale : François-Xavier Roth les laisse exprimer les couleurs les plus variées, se réservant simplement le soin de donner les impulsions nécessaires aux progressions immenses qu’il exige des cordes.
Cet orchestre superlatif éclipse presque la Shéhérazade d’Isabelle Druet. Certes, une diction impeccable et un véritable don de conteuse préservent à merveille les inflexions du texte (quelle nostalgie dans ce « Je voudrais voir mourir d’amour ou bien de haine » !). Mais le timbre manque de richesse : les graves, très sollicités dans l’œuvre, demeurent plats, les aigus peu vibrés n’ont pas assez d’ampleur pour surpasser l’orchestre. Car il est difficile de rivaliser avec l’orchestre chatoyant d’« Asie » : si le legato absolu des cordes au son un peu voilé crée une atmosphère de mélancolie extrême, chaque silence de la voix est l’occasion d’un crescendo qui coupe le souffle du spectateur. « L’Indifférent » est donc peut-être le poème qui met le plus en valeur la soprano ; l’orchestre, plus discret, laisse apprécier son legato fascinant qui donne au texte des allures de sortilège.