On arrive à la Philharmonie bardé de certitudes quant à ce qui fait une bonne programmation de concert, surtout pour un orchestre en tournée : une pièce contemporaine en ouverture, un concerto avec une star du piano ou du violon, et un tube symphonique pour finir, comme le Bolero de Ravel... Première certitude battue en brèche : on croit à une erreur d'impression mais le programme de l'Orchestre symphonique national de Chine est bien correct, ce soir c’est le Bolero qui ouvre le concert, et la pièce contemporaine est en seconde partie !

Finalement ce début de concert est une bonne idée : l'œuvre de Ravel constitue pour une formation qu'on ne connait pas la meilleure occasion de révéler ses solistes, ses qualités d'ensemble... et ses limites. Les Chinois sont entre des mains sûres en la personne du compositeur et chef Tan Dun qui, d'un geste élégant et précis, impulse le mouvement et encourage ses musiciens. Ceux-ci respectent à la lettre la partition de Ravel, la caisse claire, la flûte, le basson, et le cor solos n'ont rien à envier à leurs collègues occidentaux, mais la grande majorité n'ose pas s'affranchir de la barre de mesure – nul glissando chez le trombone, nul déhanché jazzy chez les deux saxophones, bien peu séduisants, audace réduite à zéro chez tous ceux qui pourraient se singulariser dans l'irrésistible crescendo orchestral, toutefois remarquablement mené par le chef.
Le plateau se vide de l'immense orchestre mais c'est tout de même un Mozart en grand appareil (avec 14 premiers violons et jusqu'à 4 contrebasses !) qui va accompagner les deux solistes de la Symphonie concertante pour violon et alto de Mozart. La direction de Tan Dun est sans grande originalité, mais sans contresens non plus. Il laisse les deux solistes s'épanouir et chanter librement leurs parties : la pureté stylistique de Liya Petrova se paie d'un léger déséquilibre avec l'alto chaleureux et si expressif de Lise Berthaud. Les deux solistes offrent un bis généreux (dommage que, suivant une mauvaise habitude trop fréquente, elles ne l'annoncent pas au public !) : la Passacaille et ses variations virtuoses composées par le Norvégien Halvorsen à partir d'un extrait de la Suite pour clavecin en sol mineur de Haendel.
La seconde partie s'ouvre par une autre passacaille, Secret of Wind and Birds, que son auteur, Tan Dun, explicite ainsi : « Ici, je joue avec la structure, la couleur, l’harmonie, la mélodie et la texture (...). La pièce débute avec la sonorité des instruments chinois anciens retransmise sur les téléphones, laquelle crée un chœur d’oiseaux numériques et propulse la tradition vers le futur. Un motif de huit mesures se répète neuf fois et se développe en intégrant claquements de doigts, sifflements et martellements de pieds, le tout porté par une puissante énergie hip-hop dans l’orchestre. »
Ce petit quart d'heure de musique dite contemporaine (2015) condense à peu près tous les styles, Messiaen, Bernstein, John Williams, un peu d'aléatoire à la Leif Segerstam et le tour est joué. Le public applaudit à tout rompre ce mélange bien racoleur et ces musiciens fiers de brandir leurs téléphones portables ! Mais on n'est pas au bout de nos surprises. Dans un fourreau blanc scintillant, Liu Wenwen s'empare de l'un des deux suonas – sorte de petite trompette traditionnelle chinoise – disposés devant elle et livre une prestation étourdissante d'un arrangement sirupeux à souhait du traditionnel « Chant du phénix ». Le moins qu’on puisse dire, c'est que la soliste ne manque pas de souffle !
L'Oiseau de feu complète bien cette seconde partie de programme. Mais en comparaison des pièces précédentes il fait bien pâle figure, la faute à une direction émolliente qui, même dans la danse infernale de Kachtcheï, ne parvient qu'à faire du bruit. Ce Stravinsky appelle trop la rutilance, le chatoiement des couleurs de l'orchestre pour qu'on puisse se satisfaire d'une honnête mise en place et d'un orchestre qui manque singulièrement de personnalité et de densité.