Ombre et lumière : l’intérieur de la Chapelle de l'Hôtel Dieu de Lyon montre sa tête de Janus aux auditeurs venus écouter l’ensemble dont le nom et l’existence trouvent ici même leur berceau. Sur la droite, les chapelles latérales aux stucs, autels et tableaux restaurés resplendissent, la chaire monumentale exhibant fièrement son chapeau voûté de lapis-lazulis et son ventre de marbre noir africain. Les sanctuaires de gauche font pâle figure, ou plutôt, ils sont encore voilés par une épaisse couche de crasse séculaire. La moitié des 2500 mètres carrés de trompe-l’œil en ce ravissant lieu baroque lyonnais attend encore un rafraîchissant coup de brosse ou de truelle, et c’est au soutien financier de ces travaux que le Concert de l’Hostel Dieu a dédié une partie de sa billetterie.

Derrière le programme « Il concerto della natura » proposé par Franck-Emmanuel Comte et son ensemble se cache une divertissante sélection d’œuvres vivaldiennes, regroupées en quatre blocs « élémentaires » : terre, air, eau, feu. Chorales, quelques lueurs du Magnificat jettent des éclairs sonores dans la pénombre de la Chapelle. Comme à leur coutume, les chanteurs du Concert de l’Hostel Dieu, très bien préparés par Hugo Peraldo, sont alertes, disponibles à suivre les inflexions d’une direction sensible, et veillent à leur justesse. L’équilibre des dix-huit choristes est aussi parfait que l’homogénéité des pupitres ; le chœur « Con la face di Megera », extrait de la Semiramide, illustre aussi la qualité du chœur de femmes.

Du côté de l’orchestre en petite formation, une très belle énergie se transmet à la salle. Le théorbe et la guitare de Nicolas Muzy soufflent le vent chaud ou froid, et dans l’Estate des Quatre Saisons, de belles étincelles jaillissent entre le premier violon et le violoncelle : une flammèche qui est vacillante au début se répand allègrement à l’ensemble des cordes. Il est vrai que l’acoustique de la chapelle est un peu difficile dans certains registres (la soliste, pourtant dotée d’un puissant organe, est par moments couverte dans ses graves), mais le plus grand défi réside dans la justesse : le froid automnal nécessite de constants accords des instruments. La technicité très virtuose de Reynier Guerrero en fait la douloureuse expérience : son violon très sensible aux conditions climatiques ne trouve pas toujours sa stabilité dans la tempête de mer déchaînée par le RV 253. Et c’est dommage : le ton du soliste est délicieux et les impulsions données au tutti inspirées.

La perle noire de la soirée, c’est le splendide contralto Anthea Pichanick. Complice des choristes, ses graves chauds s’opposent délicieusement aux arpèges cristallins des sopranos dans le « Donec ponam » (Dixit Dominus). Agitée et inquiète jusque dans l’ornementation, elle figure la Juditha Triomphans, avant de répandre ses torrents vocaux dans des vagues majestueuses mais tranquilles qui suivent les propositions instrumentales du « De torrente ». L’ultime métamorphose du programme la transforme en foudre humaine, frémissante, dans l’extrait de l’Olimpiade : cette grande voix, possédant l’intensité expressive d’Amy Winehouse et la vélocité de Cecilia Bartoli, décoche ses doubles croches dans un tempo vertigineux et les laisse pleuvoir sur un auditoire ébloui.

Franck-Emmanuel Comte, en maestro ravi de retourner aux fonts baptismaux de son ensemble, ne tient plus en place dans ce dernier bloc : la fièvre qu’il a instillée à ses musiciens s’est emparée aussi de lui, et il danse derrière son clavecin en sautillant. Impossible de ne pas se laisser contaminer par cette reprise des lieux joyeuse et festive !

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