Curieuse et stimulante thématique au Festival de Froville, pour lequel la soprano belge Sophie Junker est venue prêter sa voix à la Francesina (Elisabeth Duparc de son vrai nom), cantatrice préférée de Haendel à Londres durant plusieurs années. Franck-Emmanuel Conte dirige le concert depuis le clavecin et en assure également la présentation. Il permet au public de s'initier aux évolutions de la création haendélienne autour des années 1740 alors que l'oratorio commençait à prendre le pas sur l'opéra – l'opera seria particulièrement – et que le chant passait de la langue italienne à l'anglaise. Elisabeth Duparc a participé activement à la création de ces œuvres. Le programme rappelle son souvenir en proposant un panorama de cette période-charnière comprenant des extraits du dernier opéra composé par Haendel, Deidamia. Deux airs, l'un de Serse créé peu avant et l'autre de Semele (opéra pouvant être présenté sous forme d'oratorio), illustrent également la transition en train de s'opérer. À l'inverse, l'air tiré de l'oratorio Saül garde quelque chose de théâtral tandis que la « Sinfonia : Allegro Postillons », renvoie à la puissante dramaturgie de l'oratorio un peu plus tardif Belshazzar.

Sophie Junker et Franck-Emmanuel Comte
© Julie Cherki

Ces vivantes interprétations, également leçons captivantes d'histoire de la musique, sont complétées par plusieurs respirations orchestrales et d'autres airs appartenant à un genre qui n'est ni opéra ni oratorio : le « drame musical » Hercules ressemblant un peu à un oratorio mais dont le sujet n'est pas religieux et l'Ode à Sainte-Cécile appartenant plutôt au genre cantate. Seule exception au sein d'un programme intégralement haendélien : une alerte Follia de Michel Farinel composée à Londres à la fin du XVIIe siècle.

Le « Nasconde l'usignol » (Deidamia) par lequel s'ouvre la prestation de Sophie Junker fait apparaître une voix d'une remarquable puissance s'élançant au dessus des dernières notes d'une belle introduction orchestrale. Le brio des prodigieuses ornementations vocales n'a certainement pas pour effet premier d'attirer l'admiration du public envers la virtuosité belcantiste de l'artiste mais bien de souligner le contenu et le sens du chant dont l'articulation des paroles est au demeurant fort claire. Dans le domaine de l'opéra encore, Sophie Junker fera montre d'une superbe qualité dramatique capable d'exprimer avec une force magistrale la violence du dépit amoureux extrême de « Va, perfido! quel cor me tradira » (Deidamia) autant que le sentiment tout intérieur de « Nè men con l'ombre d'infedeltà » (Serse), où la chaude couleur de la voix s'affirme de plus en plus, tandis que les ornementations sont abordées avec la plus grande souplesse.

L'oratorio est présent au cours de cette soirée à travers l'un d'entre eux, Saül, relativement atypique cependant, puisqu'il comporte une dimension clairement théâtrale. L'air « In sweetest harmony they lived » livre en effet sans doute un sentiment moins religieux que profondément affectif, celui d'une fille en déploration devant le massacre de son père et de ses frères par les Philistins. Sophie Junker sait ici se dépouiller du brillant et vigoureux éclat de sa voix pour incarner, pianissimo, le sentiment de déréliction qui submerge le personnage. Interprétation d'une poignante émotion.

Les pièces extraites d'ouvrages n'appartenant clairement ni au genre opéra ni à l'oratorio font sentir des règles de composition offrant une certaine souplesse dont la voix de Sophie Junker sait exploiter tous les ressorts. Dans l'Ode à Sainte-Cécile, la soprano propose une méditation originale, pleine de charme et de sérénité, soutenue par le magnifique solo à la riche sonorité, au jeu expressif et inspiré de la violoncelliste Aude Walker-Viry.

Le Concert de l'Hostel Dieu, ses cordes, sa basse continue au clavecin redoublé tantôt par le théorbe tantôt par la guitare, est placé sous la direction précise et dynamique de Franck-Emmanuel Conte. Sa vitalité est mise tantôt au service de la voix avec une intelligence des nuances et du sens des paroles portées par le chant, tantôt au service de pages instrumentales. De celles-ci, on retiendra l'ouverture animée du concert et la sonnante Follia de Farinel mais également la musette-pasticcio tirée de mélodies pastorales du cinquième Concerto grosso opus 6, exécutée avec grâce. La « Gavotte » et le « Tamburino » extraits de l'opéra Alcina ajouteront encore une note joyeusement enlevée à une soirée riche d'émotions et d'enseignements.

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