Une soirée avec le Concert de l'Hostel Dieu à Saint Bonaventure de Lyon, c’est un véritable tableau vivant de la musique baroque. Installés non devant l’autel, mais au fond de l’église pour la meilleure acoustique, chœur et orchestre se placent sous une voûte d’ogives surmontée d’un lustre, lovés entre les pans de quatre gobelins séculaires, qui forment comme un doux manteau autour des musiciens. N’imaginerait-on pas ainsi l’Avent en Saxe, dans un sanctuaire médiéval, le maître de Leipzig à son clavecin, dirigeant une maîtrise dans l’une de ses cantates ?
Nun komm, der Heiden Heiland, dirigé pour la première fois par Bach un 3 décembre il y a presque trois siècles, en 1724, est l’une des cantates les plus traditionnelles de l’Avent allemand, et son thème est exposé dans le cantus firmus limpide des sopranes. Elles sont le pilier de ce premier morceau, où l'on se cherche encore un peu, même si violon et basse continue installent bientôt un joli bercement pour l’aria de ténor. Dans sa première intervention, Matthieu Chapuis est encore sous le coup de l’émotion, mais nous découvrons ensuite, éblouis, la basse de Romain Bockler, qui semble être faite pour l’écriture baroque. Un timbre splendide, mature, au grain très naturellement viril, une excellente diction et, comme le prouve la difficulté de son air « Streite, siege, starker Held », une vélocité qui ne diminue en rien la qualité du son dans sa course avec les cordes à l’unisson. Une soprane du chœur se joint à Anthea Pichanick pour un beau récitatif en duo, avant que ne s’achève cette trop courte cantate BWV 62.
En intermède musical, le célèbre Concerto Brandebourgeois n° 3 résonne gaiment dans l’église, l’Allegro (qui l’est molto) engage tous les participants dans une belle rivalité cursive, dans laquelle on aurait juste parfois souhaité plus de présence du premier violon. Le clavecin enchaîne avec ses petites perles vers l’Adagio-Allegro, où l'on apprécie la place laissée à chaque pupitre intervenant. L’énergie collective est réjouissante, la contrebasse s'y montrant un excellent moteur, comme les violoncelles, également très engagés ; une fougue commune porte les cordes vers le finale. Dommage que la dernière résonance de ce beau morceau soit un tantinet basse, mais qu’est-ce qu’on y peut, c’est cela, l’hiver dans les lieux sacrés ! L'on fait tout pour se réaccorder le plus souvent possible et atteindre une stabilité maximale des instruments baroques, encore plus délicats que les autres.
Quant à lui, le motet BWV 230; lobet den Herrn alle Heiden a sa petite histoire lyonnaise. Alors qu’on a longtemps pu mettre en doute la paternité de Bach, le fonds anciens de la Bibliothèque municipale en possède une copie qui pourrait dériver directement de l’original. Le thème du « Denn seine Gnade » est un baume appliqué en douceur par les altos et ténors en un magnifique dialogue, avant que la joie ne s’extériorise collectivement dans l’« Alléluia » final, illuminant la scène.
Franck-Emmanuel Comte a accordé un soin particulier à l’interprétation de la Missa brevis en sol mineur (BWV 235) par ses musiciens. Le hautbois baroque, au son élégiaque, ouvre le morceau en beauté, suivi dans sa plainte par un pupitre d’alto d’une superbe homogénéité, qui monte dans son eleison vers les aigus avec un pathos tout simple, donnant une leçon d’élégance naturelle. Le « Gloria », en dépit de son rythme plus lent, poursuit cette dynamique ; la légèreté du pupitre de ténor est très impressionnante ici. On se réjouit déjà à l’avance de voir revenir Romain Bockler, et voilà qui se confirme : dans le « Gratias agimus tibi », sa voix est un cierge, droit, dont la flamme ne vacille que pour épouser la vibration des cordes qui l’entourent. Dieu, quel organe superbe pour Bach ! Anthea Pichanick, pour sa part, campe le tison dans le « Domine Fili », à la chaleur constante et réconfortante. Introduit par un splendide hautbois baroque et le violoncelle qui lui donne la réplique, le ténor de Matthieu Chapuis se détend, s’engage et ouvre son timbre dans le « Qui tollis ». Franck-Emmanuel Conte dégage finement toutes les strates de la fugue du « Cum Sancto Spiritu » : nous avons décidément entendu une belle interprétation de cette messe luthérienne, et une reprise, en bis, de l’« Alléluia » du motet précédent clôt une divertissante soirée, où, enlevées, les syncopes sont jetées en volupté et en gaîté vers le plafond et éclatent en petites bulles sonores.