C’est avec un compréhensible sentiment de trépidation que l’on se rend à la Monnaie pour assister à un Crépuscule des dieux qui marque la fin de cette aventure qu’aura été le Ring étalé sur deux saisons. On se rappellera que Romeo Castellucci, après avoir signé deux passionnants premiers volets de cette Tétralogie, avait conçu pour Siegfried et le Crépuscule des projets dont les irréalisables exigences techniques et financières avaient amené à son remplacement par Pierre Audi, qui reprit courageusement au vol la mise en scène des deux derniers opéras du cycle.

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Le Crépuscule des dieux à la Monnaie
© Monika Rittershaus

C’est ainsi que ce Crépuscule s’inscrit dans un parti pris d’une simplicité sans doute dictée par le peu de temps dont disposait le metteur en scène franco-libanais, mais qui débouche néanmoins sur une vision cohérente, quoique bien plus traditionnelle que celle de son confrère italien. Mais si cette conception n’a rien de révolutionnaire, elle convainc par sa clarté et sa sincère volonté de servir l’œuvre au mieux. Comme dans Siegfried, le décor très dépouillé fait un ample usage de cubes et parallélépipèdes suspendus ou posés sur la scène (sauf au troisième acte, où la scène de chasse est illustrée par une monumentale sculpture noire d’animaux enchevêtrés pendant des cintres), le tout magnifié par les très beaux éclairages aux couleurs chaudes de Valerio Tiberi qui créent une atmosphère onirique complétant parfaitement l’extrême sobriété scénique.

Quant aux costumes, il sont marqués par une grande simplicité, les personnages étant presque tous vêtus de longues aubes monochromes qui leur donnent un air étrangement intemporel et hiératique – comme le couple Gunther-Gutrune, vêtu d’une même robe beige et arborant une coiffure identique, ou les vassaux des Gibichungen qui semblent sortis d’une confrérie de pénitents. Les exceptions se remarquent d’autant plus, comme les Nornes enveloppées dans d’étranges doudounes beiges ou les Filles du Rhin avec leurs maillots de bain à paillettes, bonnets de bain et immenses palmes aux pieds. Quant à Waltraute, elle tient à la fois de la Walkyrie et de la motarde, sans parler de l’encombrant bouclier qu’elle arbore à chaque main.

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Le Crépuscule des dieux à la Monnaie
© Monika Rittershaus

Si la mise en scène est certainement satisfaisante, la partie musicale est bien plus que cela. Le mérite en revient en premier lieu à Alain Altinoglu. À la tête d’un orchestre totalement impliqué et dont il faut saluer la remarquable prestation (cordes souples et fines, bois exquis, cuivres à la fermeté inébranlable), non seulement dans les morceaux de bravoure que sont le « Voyage de Siegfried sur le Rhin » ou la poignante « Marche funèbre », interprétée avec une étonnante transparence et sans une once de faux pathos, le chef guide d’une main sûre et souple, avec aisance et naturel, aussi bien la fosse que le plateau qui réunit une distribution de très grande qualité. 

Il faut avant tout saluer la superbe Brünnhilde d’Ingela Brimberg, qui s’acquitte de ce rôle terriblement exigeant avec une vaillance et une sensibilité de tous les instants. Son duo avec Waltraute (excellente Nora Gubisch) confine au sublime. Le Siegfried de Bryan Register (dont c’est la prise de rôle) s’avère dans un premier temps solide et fiable, mais sa voix s’épanouit magnifiquement au dernier acte. Servie par sa présence physique imposante et sa voix mordante, la basse estonienne Ain Anger incarne un Hagen aussi vénéneux qu’autoritaire. Andrew Foster-Williams offre une très belle incarnation de Gunther, alors qu'Anett Fritsch illustre parfaitement les émois de Gutrune. Tant les Nornes (Marvic Monreal, Iris van Wijnen et Katie Lowe) que les séduisantes Filles du Rhin (Tamara Banjesevic, Jelena Kordić et Christel Loetzsch) sont irréprochables. 

Le <i>Crépuscule des dieux</i> à la Monnaie &copy; Monika Rittershaus
Le Crépuscule des dieux à la Monnaie
© Monika Rittershaus

À l’issue des six heures de cette représentation, on ne peut que se dire que c’est un splendide cadeau qu’ont offert tous les participants de ce Ring à Peter de Caluwe, pour saluer le départ prochain d’un intendant qui aura tant fait pour la maison bruxelloise.

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