Pour l'Ensemble 2e2m, « Memoria » est un concert au goût doux-amer. Il rassemble un public déjà conquis, dans le joyeux contexte du festival « Aux Armes, Contemporains ! » à La Scala Paris. C'est l'occasion, toujours spéciale et appréciable, de créer des œuvres de compositeurs vivants, jeunes comme affirmés – de chaleureux amis. « Memoria » s'est malheureusement transformé en un « In memoriam », à la suite du décès de Paul Méfano le 15 septembre dernier, compositeur et fondateur de 2e2m. La blessure est récente chez ces musiciens orphelins, chez le public aussi, et crée une crainte d'être un peu voyeur malgré soi. Mais « Memoria », malgré les circonstances, réussit à être aussi un instant de gaieté musicale.

L'Ensemble 2e2m à La Scala Paris
© La Scala Paris

Véronique Fèvre porte l'Involutive pour clarinette solo de Méfano, composée en 1958, avec une gravité hypersensible. Elle a un phrasé limpide, des notes acides pleines de souffle qui contrastent avec d'autres très nettes, douces et chaudes. On a la sensation d'un ange qui s'apprête à décoller, mais dont les ailes ne se déploient jamais. Finalement, au lieu de s'ouvrir, Involutive se replie sur elle-même avant de disparaître ; les dernières notes sont aussi minuscules que se sent le public.

In Stahlgewittern de Raphaël Sévère, clarinettiste de renom dont la carrière de compositeur est en plein essor, est une des deux créations mondiales de cette soirée. Le jeune compositeur y reprend les mémoires d'Ernst Jünger, officier pendant la Première Guerre Mondiale, et l'adapte en trio pour violon, clarinette et piano. Ce sont Noëmi Schindler et Nathanaël Gouin qui l'accompagnent dans l'exécution de cette pièce en trois mouvements, chacun décrivant un épisode du front. Certains se dessinent clairement : c'est le cas de l'introduction, très minimaliste, avec de longues notes solitaires qui se transmettent d'instrument en instrument, des nappes qui décrivent un horizon désert, sorte de version fantomatique des Steppes de l'Asie centrale de Borodine. Viennent ensuite les premiers moments de violence, et malheureusement ils noient la structure de l’œuvre. Il devient de plus en plus difficile de discerner le chemin sous les pluies de notes. La fin arrive soudainement, sans qu'on ait perçu assez de contraste pour avoir eu la sensation de traverser quelque chose. C'est dommage, car avec ces trois grands interprètes, les couleurs, les dynamiques et l'investissement étaient au rendez-vous.

S'ensuit la Ballata n° 3 pour piano et ensemble de Francesco Filidei, compositeur qui entretient une collaboration avec 2e2m depuis longtemps déjà. L'œuvre est un quart d'heure intense, dans une orchestration des plus riches, avec des modes de jeux divers à n'en plus finir, des tuyaux harmoniques et des flûtes à coulisse qui s'invitent sur scène. Les cors criant comme des éléphants vont jusqu'à provoquer de vrais éclats de rire dans le public, d'une joie d'enfant extatique. Les musiciens maîtrisent la partition à la perfection et Léo Margue, jeune chef invité, impressionne par son sérieux, sa participation corporelle et sa clarté, apportant un cadre très sécurisant sans nuire à l'expressivité de l'ouvrage.

On finit en beauté avec le Concerto pour violon n° 2 de Bernard Cavanna, qui amène autant de bonheur par sa musique que de plaisir par sa personnalité, débordante de bienveillance envers 2e2m comme l'équipe de La Scala. L'œuvre est sans surprise très intéressante et bien menée. La reprise d'une forme aussi classique et « usée » que le concerto pour violon ne peut aller sans une revisite, des hommages tordus qui revoient les règles. Le premier mouvement fait référence au Concerto à la mémoire d'un ange de Berg, à une exception très importante près : le violon que Noëmi Schindler y utilise est désaccordé, et l'utilisation des cordes à vide, comme Berg les traite au début de son œuvre, est complètement faussée. Une mandoline, très importante tout au long du concerto, souligne et répond aux mélodies du violon avec cette acidité propre aux instruments à plectre. Dans le lyrisme intense dont Schindler fait preuve, on entend soudain quelque chose dans les enceintes, un rythme régulier de percussions synthétiques, une basse techno qui cadre soudain le discours.

Elle disparaît mais revient plus tard, ce rappel qu'il existe hors de cette salle une musique sans fantaisie. Entretemps, une cornemuse s'est invitée à la fête, pour un deuxième mouvement plus furieux, évoquant d'avantage Chostakovitch. Le troisième mouvement ludique se joue sur un quart de violon, instrument d'enfant que Schindler fait sonner à merveille. Les cloches résonnent sur un air qui fait penser à celui de Big Ben, des mélodies enfantines diffuses sont reprises par les cordes, l'œuvre suit un tic-tac régulier et Léo Margue encourage le public à frapper dans ses mains avec eux. La musique ne meurt que quand le tic-tac est repris à la mandoline, diminue, diminue, puis est interrompu par les pizzicati du violon. Une joie est revenue. Méfano manque, manquera, mais sa musique et ses musiciens sont là, résolument vivants, profondément appréciés. N'oublions pas ce que nous lui devons.

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