Membre du fameux groupe des Six, le compositeur suisse créait, alors que la guerre se faisait plus qu’imminente en Europe, une de ses plus célèbres pièces : l’oratorio Jeanne d’Arc au bûcher (1938). Méconnue du grand public, l’œuvre est pourtant la plus caractéristique du style inclassable d’Arthur Honegger, ancré dans la modernité de ses contemporains, mais se refusant à choisir une école, un langage musical spécifique. Elle est également une rencontre forte de la plume de Paul Claudel, d’un grand sujet national voire nationaliste, de la musique et du jeu théâtral non chanté.
Pour cette œuvre si particulière, la salle de la Halle aux Grains était poussée dans ses retranchements physiques, ouvrant l’arrière-scène, son balcon et la fosse d'orchestre, afin d’accueillir presque deux cents musiciens : l’Orchestre du Capitole, dirigé pour l’occasion par le chef japonais Kazuki Yamada, le Chœur et la Maîtrise du Théâtre menés par Alfonso Caiani, et cinq chanteurs solistes. L’installation très soignée de la scène veillait à accueillir les trois récitants de la pièce : Marion Cotillard, mais aussi Éric Génovèse et Christian Gonon, tous deux de la Comédie-Française et le dernier habitué à de régulières visites dans la ville rose de son enfance. Devant une telle affiche, la représentation ne pouvait avoir lieu qu’à guichet fermé.
Chœurs et musiciens s’installent dans le silence général, puis quelques applaudissements naissent à l’entrée du chef. Ce dernier entame sans plus tarder l’oratorio et son introduction ténébreuse faite de motifs graves et de mélanges des timbres. La présence concomitante de nombreux instruments habituellement exclus de l’orchestre symphonique (piano, orgue, celesta) ou originaux comme les ondes Martenot (utilisées pour la première fois en 1928) apportent une couleur plus qu’originale à la pièce. Les ondes en particulier, très souvent utilisées en doublures, renforcent l’aspect ténébreux et mystique de certains passages, alors que le piano imite les cloches qui sonnent.
K. Yamada dirige avec lyrisme son orchestre, s’illustrant sur les salves des flammes du bûcher final, et montrant de sa baguette le ciel au moment de la délivrance de Jeanne. Des chœurs se détachent parfois des solistes : enfants, soprane, ténor, tous avec le plus remarquable contrôle. Le chœur représentant la population servile, public hostile d’un procès factice, s’éloigne régulièrement du chant pour crier, parler ou faire écho au récit en cours.