Le musée du Louvre vit depuis mercredi dernier, et ce pour les six prochains mois, à l’heure de Naples. Née d’une collaboration avec le musée de Capodimonte, la saison Naples à Paris nous invite à un voyage dans la vie artistique napolitaine du XVe au XVIIe siècle. Inaugurées dans la matinée par Emmanuel Macron et son homologue italien Sergio Mattarella, les festivités ont mis à l'honneur le soir venu un des compositeurs les plus emblématiques de cette thématique : Alessandro Scarlatti et son oratorio La Giuditta (1693), interprété par les chanteurs de l’Académie de l’Opéra de Paris et l'ensemble Les Accents placé sous la direction de Thibault Noally.

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A. Mathonat, F. Escalone, M. Chagnon, M. Polonskaya et K. Lee
© Vincent Lappartient / Studio J’adore ce que vous faites !

La couverture du programme de la soirée donne le ton avec un chef-d’œuvre d’Artemisia Gentileschi, Giuditta che decapita Oloferne, qui propose une vision féminine de la violence et de la vengeance inouïe pour l’époque. L’utilisation du clair-obscur permet à l’artiste de donner des dimensions paroxystiques à la décapitation. Dans l’oratorio de Scarlatti, on ne verra pas de jaillissement de sang. Mais l’égorgement d’un geste sec de la Giuditta de Marine Chagnon se révèlera particulièrement saisissant sur le plan théâtral. Le corps d’Oloferne (Fernando Escalona) s’en ira, tel une ombre, au royaume des défunts.

Ce soir, c'est dans la berceuse de Giuditta, construite elle-même en clair-obscur, que la tension atteint son apogée : la prière La tua destra, ò Sommo Dio offre tout d'abord un moment de profonde émotion sous le timbre ardent et sensible de Marine Chagnon ; son passage à l’acte n’en est pas moins violent ensuite, la mezzo-soprano impressionnant par sa projection puissante lors de sa transformation en guerrière.

En Oloferne, Fernando Escalone propose une interprétation bouleversante. Bercé par la chanson de Giuditta, il ne résiste pourtant pas au sommeil : son souffle devient un filet de voix, commence à s’étirer et se dématérialiser, telle une âme qui s’apprête à quitter le corps, happée dans la mystérieuse et hypnotique nuit – ce qu'accompagnent idéalement les sonorités troublantes, hallucinatoires de l’orgue tenu par Mathieu Dupouy. Le contraste est radical après l'Oloferne de la première partie, d’une veine essentiellement comique, savoureuse dans son interprétation. On ne peut qu’être admiratif devant la versatilité de ce contre-ténor charismatique. Sur le plan vocal, en plus d’un phrasé élégant et d'un chant toujours généreux, Fernando Escalone fait profiter son personnage de son passé de baryton : les couleurs sombres de sa voix de poitrine s’avèrent idéales pour illustrer l’ambivalence d'Oloferne.

Le personnage d’Ozia est celui dont l’âme est la plus pure. Il trouve toute sa noblesse dans l’interprétation de la soprano Margarita Polonskaya qui associe beau timbre cristallin, ardeur des attaques et magnifique sens du phrasé. Dans le rôle du Sacerdote, la basse Adrien Mathonat apporte une somptueuse couleur abyssale, idéale pour son rôle et ses récitatifs sont chargés d’une puissante force dramatique. Dans les airs néanmoins, surtout en début de soirée, sa voix se montre plus crispée. Le ténor Kiup Lee complète la distribution en capitaine Achior, faisant entendre une belle voix claire, au phrasé élégant. Son Della Patria, chanté avec une vive émotion, restera l'un des plus beaux moments de la soirée.

À la tête de son ensemble Les Accents, Thibault Noally anime ses effectifs avec la vitalité qu’on lui connaît, insufflant énergie et expressivité tout au long de la soirée. Il est une main de fer dans un gant de velours et un violon solo magistral, capable de tirer de ses troupes la théâtralité la plus exacerbée et la poésie la plus bouleversante, toujours dans une exécution soignée, élégante et sensible. L’oratorio se conclut avec deux chœurs réjouissants (formés par les cinq chanteurs), chantant la gloire de Dieu, seul capable de changer « en un ciel de joie une mer de sanglots ». Cérémonie d’ouverture réussie ! La saison napolitaine du musée du Louvre est bien lancée.

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