Le Théâtre des Champs-Élysées accueillait mercredi dernier la production de L’incoronazione di Poppea de Mathilde Etienne et Emiliano Gonzalez Toro qui complétait, après L'Orfeo et Il ritorno d’Ulisse in Patria, le triptyque monteverdien de l’ensemble I Gemelli. La production réunit douze instrumentistes et treize chanteurs de haut vol pour porter à la scène ce chef-d’œuvre dans une interprétation historiquement informée.

Emiliano Gonzalez Toro
© Michel Novak

Première particularité : à l’époque de Monteverdi, il n’y avait ni chef d’orchestre, ni direction depuis le clavier, nous rappelle le directeur musical, prenant place parmi l’orchestre. C’est le chanteur qui guide le continuo et non l’inverse. Sur le plan musical, le résultat est probant. Réunis autour du claviorganum de Violaine Cochard, I Gemelli offrira tout au long de la soirée une performance qui force l’admiration : fine écoute des chanteurs, équilibre du propos instrumental qui n’empiète jamais sur les voix ; et qui en même temps possède du caractère, allant d’une expressivité sobre quasi liturgique jusqu’à des joutes de virtuosité spectaculaires.

La sobriété de la mise en espace signée Mathilde Etienne (qui utilise uniquement un fauteuil, symbole du trône convoité ouvertement par Poppée mais, en réalité, point de gravitation pour tous les personnages) s’accorde bien avec l’ambiance intimiste installée par le petit orchestre baroque.

Dommage que la direction d’acteur ait été moins inspirée, proposant une interprétation caricaturale des personnages pourtant ambigus et complexes dans le livret comme dans la partition. Le rôle-titre est ainsi considérablement appauvri, quasiment réduit à sa cupidité ; le duo hautement sensuel « Pur ti miro », où le personnage s’adresse à la couronne tandis que Nerone chante dans sa bulle, s’avère franchement décevant. C’est d’autant plus dommage que le timbre clair, lumineux, élégant de Mari Eriksmoen est idéal pour le rôle – son « Signor, sempre mi vedi », chanté avec une charmante ardeur, était prometteur. Le rôle de Seneca pâtit aussi d’une caractérisation trop monochrome : la luxure. Malgré une voix qui ne laisse pas indifférent, Nicolas Brooymans n’arrive pas à apporter suffisamment de relief à son personnage.

Nerone est davantage préservé, incarné par David Hansen avec une vivacité saisissante et une lueur dans le regard qui évoque la démence – le chanteur est terrifiant dans ses moments de rage ! Mais aussi magnétique, grâce à un timbre qui joue habilement avec l’ombre et la lumière. On sera en revanche plus réservé sur sa facette d’amant passionné. Alix Le Saux laisse également une impression partagée, faisant entendre une belle voix charnue, sans parvenir à incarner la dimension tragique du personnage d’Ottavia.

Parmi les sources de satisfaction de la production, Kacper Szelążek en Ottone est un cas à part : son chant dégage une sincérité frappante et troublante, offrant de nombreux moments de pure poésie – et aussi quelques touches d’humour, comme lorsqu’il réapparaît déguisé en Drusilla. Les plus éblouissants sont cependant Mathias Vidal et Anders Dahlin. Le premier campe une Arnalta au fort caractère, dont l’air de folie des grandeurs est un summum comique, sans oublier l’émouvant « Oblivion soave ». Le second incarne, avec non moins d’art et de panache, la Nutrice d’Ottavia, qui devient une irrésistible fashionista. Emiliano Gonzalez Toro rejoint Anders Dahlin pour un décoiffant duo des gardes de Néron, tandis que Mathilde Etienne fait deux courtes apparitions (La Virtu, Damigella) remarquées pour le jeu théâtral. Côté femmes, c’est surtout Lauranne Oliva qui marque les esprits avec son énergie débordante, sa fraîcheur et son timbre brillant qui épousent à merveille son personnage de Drusilla.

Si la soirée n’a pas manqué de points forts, on sort tout de même du Théâtre des Champs-Élysées avec un arrière-goût doux-amer, frustré surtout par le personnage-titre, un des plus ensorcelants de l’histoire de l’opéra, qui ce soir n’a pas trouvé son éclat.

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