L’Opéra Orchestre National Montpellier Occitanie s’est lancé le pari, un peu fou en ces temps de crise budgétaire répétée à l’envi, de monter, en première française, Orfeo d’Antonio Sartorio créé en 1672. Pour cet opéra en trois actes, le livret d’Aurelio Aureli suit des chemins assez sinueux autour du mythe d’Orphée et Eurydice, en introduisant plusieurs personnages absents dans les versions de Gluck ou Monteverdi. C’est en effet à la toute fin du deuxième acte que meurt Eurydice, Orphée allant chercher son aimée aux Enfers plus tard, avant de la perdre à nouveau, d’un simple regard.

L'Orfeo de Sartorio à Montpellier
© Marc Ginot

Mais avant cela, la belle Autonoé est délaissée par Aristée, celui-ci amoureux d’Eurydice, tandis que la vieille nourrice Erinda intervient régulièrement pour nous rappeler que sa flamme amoureuse n’est pas encore éteinte. Les bouillants Achille et Hercule, élèves du centaure Chiron, tombent quant à eux amoureux d’Autonoé, alors que le médecin Esculape, frère aîné d’Orphée, exprime de temps à autre ses pensées philosophiques, et que le berger Orillo complète le tableau, lui-même objet du désir d’Erinda qui est d’ailleurs prête à le payer.

Les relations amoureuses, et surtout les situations de conflit qui en découlent, sont donc nombreuses et cette généreuse partition de plus de trois heures enchaîne sans temps morts les tableaux successifs. Avec plus ou moins une cinquantaine d’airs, entrecoupés de récitatifs, on passe ainsi en un rythme soutenu de scène en scène. Ceci ne laisse pas au spectateur le temps de s’ennuyer une seconde, le déroulement parallèle des différentes intrigues revenant périodiquement à la manière d’épisodes.

L'Orfeo de Sartorio à Montpellier
© Marc Ginot

Très lisible et dépouillée, la mise en scène de Benjamin Lazar dégage une forte densité théâtrale en se concentrant sur les désirs et relations passionnelles entre ces nombreux protagonistes. La scénographie d’Adeline Caron s’organise autour d’un podium central haut d’une marche, petit plateau tournant qui se meut de temps à autre, comme quand Orphée doit se retenir de jeter son regard sur son Eurydice tout juste sortie des Enfers. En arc-de-cercle autour de ce praticable sont disposées trois structures métalliques en amphithéâtre, permettant les nombreuses entrées, sorties, cache-cache parfois derrière les cloisons en lames pivotantes qui les bordent, tout cela concourant à un jeu très vivant et fluide. Les costumes riches et originaux d’Alain Blanchot sont aussi particulièrement appropriés à ce cœur de répertoire baroque.

L'Orfeo de Sartorio à Montpellier
© Marc Ginot

La distribution vocale est homogène et de bon niveau, à commencer par l’Orphée d’Arianna Vendittelli, beau timbre musical aussi éloquent dans la douleur élégiaque (« Sempre dolente » à l'acte III) que dans ses quelques accès de fureur, et qui sait par ailleurs faire preuve d’agilité. On la préfère à l’autre soprano Alicia Amo en Eurydice qui dégage moins de charme vocal à l’entame, mais s’améliore à mesure pour de très émouvants passages à l'acte III, par exemple quand elle apparaît en songe à Orphée dans « Se desti pietà ». Le contre-ténor Kangmin Justin Kim dégage un volume supplémentaire, disposant aussi d’une grande longueur de souffle, pour interpréter un Aristée qui souffre avec une grande sincérité de ses peines d’amour.

Le rôle travesti de la nourrice Erinda est défendu par le ténor Zachary Wilder, avec fermeté et aussi une sobriété qu’on apprécie pour la dose d’humour, sans en faire trop. La jolie pulpe vocale de Maya Kherani en Autonoé séduit également ; les deux demi-dieux tombent d’ailleurs immédiatement sous son charme, le contre-ténor Paul Figuier en Achille qui nous fait une magnifique et meilleure impression que David Webb en Hercule, ces deux figures étant maquillées de blanc comme des statues. Emploi encore plus comique, le centaure Chiron de Yannis François se déplace dans ses hautes bottes à sabots, queue de cheval et béquilles, visiblement prêt à ruer en permanence.

L'Orfeo de Sartorio à Montpellier
© Marc Ginot

Pour faire revivre cette musique, le contre-ténor Philippe Jaroussky est placé à la tête de son Ensemble Artaserse. Les quinze musiciens sont certes en nombre réduit, mais la fosse très sonore de l’Opéra Comédie n’en dégage pas moins une puissance qui donne une place prépondérante à la musique. Suivant l’ampleur vocale des chanteurs, certains se font en effet entendre un peu en arrière-plan, même accompagnés par un petit continuo. La qualité musicale est en tout cas un régal : la musique est simple dans son orchestration mais somptueuse, vraie splendeur baroque constamment en adéquation avec la situation ou l’action en scène. Bonne nouvelle, un enregistrement est annoncé…


Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra Orchestre National Montpellier Occitanie.

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