Malgré un effectif régulièrement raboté par les économies, l’Orchestre Philharmonique de Radio France peut encore proposer, moyennant quelques musiciens supplémentaires, deux concerts symphoniques la même semaine : ainsi pendant que l’orchestre occupait massivement la Philharmonie vendredi soir, voilà le lendemain l’autre partie de l’ensemble sur la scène de l’Auditorium de la Maison de la radio et de la musique en petite formation (cinq premiers violons).

On est beaucoup moins habitué à voir le Philhar' athlète, jouant un programme d’une heure et demie sans entracte debout ! Mais là n’est pas la seule curiosité d’une soirée qui commence par le Concerto pour violoncelle de Schumann, avec comme soliste Nicolas Altstaedt et comme chef d’orchestre… Nicolas Altstaedt. Diriger un concerto depuis son violon, ou depuis sa flûte, est tout à fait concevable, le soliste pouvant se tourner face à l’orchestre et ainsi transmettre tout en jouant des indications claires. Diriger depuis son violoncelle, assis et dos à plus de la moitié des musiciens est une autre paire de manches, a fortiori dans ce concerto rempli d’élans fulgurants.
De fait il ressort de cette interprétation le sentiment d’un numéro d'équilibriste. Si Altstaedt livre une proposition ardente, au point parfois de surcharger d’intentions des phrases pleines d’émotions mais à la limite d’en devenir morcelées, on sent qu’il se freine parfois, qu’il n'est pas complètement à sa partie soliste. Plusieurs éléments viennent perturber son phrasé captivant, riche en couleurs et en nuances : quelques arpèges piano du premier mouvement sont expédiés sans prendre le temps de définir chaque note tandis que certaines attaques sforzando pendant le troisième mouvement écrasent la corde plutôt que de la libérer.
Ce n’est pas la conséquence d'un déficit technique mais d’une attention scrupuleuse à l’accompagnement. Les quelques moments où Altstaedt ne joue pas et peut se lever, autrement dit quand il peut devenir pleinement chef d’orchestre, lui permettent d’insuffler immédiatement une vie et un dynamisme décuplés à un orchestre volontaire et réceptif, mais qui, sans être éteint, retombe rapidement dans une lecture plus sage, tranchant avec la flamme inextinguible du soliste. Un violon solo davantage leader aurait peut-être pu prendre le relais avec plus de mordant pour amoindrir ce décalage dans l’intention.
Pour La Joie de vivre de Wilhelm Killmayer, compositeur allemand de la deuxième partie du XXe siècle peut-être méconnu à cause de son attachement à la mélodie et son rejet du sérialisme, l’orchestre passe d'une formation de chambre à une formation de cagibi. Seuls six violons, un alto, un violoncelle, une contrebasse, deux cors, deux hautbois et un basson reviennent sur scène après le court changement de plateau. L’œuvre est construite autour de deux atmosphères, s’ouvrant sur une ascension chromatique des cordes, riche en dissonances mais définissant un climat paradoxalement assez paisible, avant une partie centrale dynamisée par l’inertie de rythmes folkloriques endiablés qui laissera finalement place à l’ambiance liminaire.
La partition est d’une virtuosité effrayante, en particulier pour les cordes qui n’arrêtent pas de jouer, aussi est-on à peine surpris de remarquer un corniste tourner la page d’une violoniste déjà bien occupée dans les mélismes tortueux des gigues celtiques. Altstaedt, désormais complètement dédié à sa fonction de chef d’orchestre, définit une métrique sobre et impulsive qui maintient l’énergie de la pièce. La joie est là dans toute son bouillonnement, mais la vie associée a dû être bien éreintante pour les musiciens pendant le quart d’heure que dure le mouvement !
Le sens de l’impulsion, c’est bien ce qui caractérisera la remarquable Symphonie n° 97 de Haydn en conclusion du concert. Altstaedt indique clairement les temps forts et restitue admirablement la structure classique en y insufflant à nouveau une énergie intarissable. Les applaudissements d’un public emporté après le premier mouvement y répondent avec spontanéité, avant un « Adagio » véritablement « ma non troppo » propice à un thème et variations sautillant. Le chef sait par ailleurs mettre en valeur les effets de crescendo/descrescendo ou horizontaliser sa battue à la faveur d’un élément plus mélodique. En résulte une palette de nombreux contrastes, particulièrement appréciable dans le finale de la symphonie.
L’« Adagio cantabile » de la Symphonie n° 13 du même Haydn apporte en bis un apaisement étonnant par rapport à tout ce qui précédait, mais bienvenu pour se reposer de tant d’effervescence. De retour au violoncelle pour ce mouvement lent en forme de concerto, Altstaedt déploie un chant serein et aéré grâce à une subtile technique d’archet. L’orchestre bénéficie d’un accompagnement moins chargé mais est toujours debout : il ne soufflera vraiment qu’après les dernières notes, et ce sera bien mérité !