Annulé voici un an, l’Acanthe et Céphise de Rameau est accessible dès le dimanche 21 mars (et jusqu'au samedi 27) depuis le Théâtre des Champs-Elysées. Pour l’occasion Alexis Kossenko a réuni Les Ambassadeurs et les forces chorales des Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles. Cet effectif considérable convient parfaitement à cette œuvre festive donnée à l’occasion de la naissance du petit-fils de Louis XV.
Bien davantage qu’une pièce de circonstance, cette pastorale est un laboratoire où le Dijonnais aiguise un vocabulaire tourné vers l’avenir. L’ouverture fait exploser les codes en usage, passée une courte introduction la description d’un feu d’artifice requiert toutes les forces de l’orchestre : trémolos des cors, arpèges des vents (y compris les nouvelles clarinettes à peine entrevues dans Zoroastre), fusées des cordes en furie, rien n'est épargné pour étonner l’auditeur, d’autant que la direction de Kossenko anticipe avec précision et donne toute l’énergie nécessaire à la réussite des effets. L’intrigue est aussi simple qu’est complexe le traitement musical : le génie des airs Oroès tente de séparer la belle Céphise de son amant Acanthe, mais la fée Zirphile aide nos deux héros en leur offrant l’ancêtre de nos modernes mobiles, un talisman les gardant en « sympathie » malgré l’éloignement physique. Une tempête, un tonnerre et quelques génies malfaisants plus tard, la victoire de l’amour est certaine et la naissance du Duc de Bourgogne incontestable, évènement apparemment propice au triomphe des cœurs.
Sabine Devieilhe (Céphise) sait son Rameau sur le bout des doigts et parvient à insuffler d’infinies nuances à de délicieuses ariettes. Cyrille Dubois (Acanthe) n’est pas en reste, cet artiste si émouvant dans Hippolyte et Aricie a pour Rameau de grandes affinités, la vocalisation est admirablement aisée, les aigus purs et expressifs. L’affreux Oroès est incarné par l’excellent baryton David Witczak aussi à l’aise dans les récitatifs expressifs que dans les airs pleins de feu où sa haine fait rage, ou dans le trio si proche de celui du Turc Généreux des Indes Galantes. Pour ses interventions assez courtes, le baryton-basse Arnaud Richard fait valoir un timbre toujours aussi nuancé et une belle présence. Moins précise dans sa diction, Judith van Wanroij incarne cependant une fée au timbre prenant.
Les seconds rôles féminins ne méritent que des éloges : Jehanne Amzal campe entre autres une grande prêtresse à la vocalisation précise et au timbre plein de fraîcheur, et Anne-Sophie Petit détaille avec flegme une ariette charmante où le papillon volage s’oppose au lion rugissant ; là encore, Rameau déploie un coloris orchestral infiniment séduisant. Les chœurs remarquablement homogènes sont des acteurs dont Kossenko souligne l’importance dramatique, les départs sont parfaits, la texture admirablement adaptée à la tendresse des musettes ou à la fureur des éléments déchaînés, l’équilibre avec l’orchestre presque idéal. Kossenko possède un sens du timing véritablement épatant où le naturel des enchaînements impressionne autant que la pertinence des tempos. Les musettes quasi hypnotiques déroulent leur belles harmonies avec langueur, les orages conjuguent énergie et précision. Ce Rameau renoue avec la richesse discursive et le bel esprit que Brüggen ou Gardiner avaient en leur temps fait entrevoir, la relève est heureusement assurée.
Concert chroniqué à partir du streaming proposé par le Centre de Musique Baroque de Versailles.