Le concert de ce soir au Festival de Pâques de Deauville associe deux œuvres russes d'esthétiques diamétralement opposées à sept jeunes musiciens d'horizons divers, mais tous au passé de chambriste fort aguerri. Une soirée qui vient rappeler que la jeunesse musicale française, malgré les circonstances, est en très grande forme.

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Jonas Vitaud, derrière David Petrlik et Camille Fonteneau
© Claude Doaré

Le Quintette de Weinberg est une œuvre ambiguë, qui cache le malaise de ses dissonances sous de larges envolées lyriques. Dès le premier mouvement, on comprend que cette ambiguïté n'effraie pas Jonas Vitaud, qui survole la pièce sans sourciller, lui donnant structure et agogique limpide, notamment à l'aide d'outils d'interprétation directement issus du langage classique. À cette vision très organisée, presque pédagogique, le quatuor oppose le tourment d'archets amples et d'une intensité de tous les instants. Si l'on aurait apprécié un peu plus de cohérence entre les deux univers, force est de constater que ce choc frontal ne laissera personne indifférent.

On pourrait en dire autant du violoniste David Petrlik, dont la sonorité moelleuse et élastique s'accommode étonnamment bien de cette œuvre de tous les extrêmes. Il faut dire que rien n'est épargné à notre premier violon : phrases interminables, « sauts de l'ange » dans le suraigu très exposés, à l'unisson avec le piano... On devine, derrière la sonorité presque naïve de David Petrlik, une virtuosité féroce.

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D. Petrlik, C. Fonteneau, M. Vioque-Judde, Bumjun Kim, J. Vitaud
© Claude Doaré

C'est plutôt le violoncelliste Bumjun Kim qui s'illustre dans le deuxième mouvement : quel sens du phrasé ! Ductile, presque lascif, mais toujours conduit, son archet surprend par sa hauteur de vue. Dommage que l'ensemble manque de structure : il manque un point culminant à cette chevauchée de l'ombre. Le troisième mouvement, « Presto », est parfait : Jonas Vitaud y fait montre d'une bondissante virtuosité, tandis que l'altiste Manuel Vioque-Judde, bénéficiant d'un soudain coup de projecteur, nous régale d'un solo au lyrisme teinté de malice.

La marche colossale qui ouvre le quatrième mouvement sera ici rampante, horizontale, bénéficiant ainsi d'un surcroît de tension. Dans le splendide duo violon-violoncelle qui suit, David Petrlik soutient le son comme jamais, osant approcher son archet au plus près du chevalet, sans jamais que le son ne cède, tandis que Bumjun Kim se fait l'écho caverneux de cette mélopée anti-héroïque. Puis, voilà un superbe solo de piano, où Jonas Vitaud se joue des résonances – et surtout des absences de résonances – de l'instrument. Dommage que le finale, un peu anecdotique, ne s'inscrive pas dans la lignée des précédents mouvements.

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Souvenir de Florence dans la salle Élie de Brignac
© Claude Doaré

On ne saurait exiger de six solistes réunis le temps d'un concert la précision d'un quatuor constitué. Néanmoins, l'équilibre atteint ce soir par les interprètes du Souvenir de Florence est remarquable. Il faut dire que la plupart d'entre eux sont des chambristes plus qu'expérimentés : Camille Fonteneau est membre de l'excellent Trio Hélios, David Petrlik et Volodia van Keulen ont fondé l'Ensemble Messiaen, tandis que Manuel Vioque-Judde et Bumjun Kim jouent ensemble au sein du Trio Arnold. Cela explique sans doute pourquoi l'équilibre est si subtilement dosé : l'écriture de Tchaïkovski est riche et dense, et il faut beaucoup de hauteur de vue pour n'oser que murmurer certaines parties d'accompagnement, ou au contraire marquer avec beaucoup d'emphase certains contrechants pour réellement les donner à entendre. La révélation de la soirée reste l'altiste Mathis Rochat, au vibrato charnu à souhait, qui semble prendre possession des thèmes avec une outrecuidance tranquille.

Pour la cantilène du mouvement lent, nouveau contraste : Volodia van Keulen, aux intentions qu'on devine bouillonnantes, cherche à emmener le placide David Petrlik vers un déferlement des passions. Cela fonctionne particulièrement bien dans la réexposition, lorsqu'à cette ambivalence des caractères se superpose la différence de traitement des deux instruments.

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D. Petrlik, C. Fonteneau, M. Rochat, M. Vioque-Judde, V. van Keulen, Bumjun Kim
© Claude Doaré

Après un troisième mouvement au jeu battuto intelligemment varié (on entend tantôt le seul bois de l'archet, tantôt l'harmonie de Tchaïkovski), voilà le finale, où le choix a été celui de la constance : le tempo est relativement mesuré et maîtrisé de bout en bout, donnant à l'œuvre une ardeur symphonique. La fameuse fugue centrale ne semble pas poser de souci aux musiciens : la phrase s'égare parfois en cours de route, mais jamais très longtemps. Les voix centrales font preuve d'un remarquable à-propos, qu'il s'agisse de Camille Fonteneau au moment de s'affirmer dans la fugue, ou de Mathis Rochat dans l'exécution d'un glissando loufoque.


Concert chroniqué à partir du streaming proposé sur la plateforme Recithall.

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