Au moment de quitter ses fonctions de directeur artistique de l'Orchestre Symphonique Bienne Soleure (OSBS), le maestro suisse Kaspar Zehnder a offert un programme séduisant et en partie autobiographique. Un étroit lien personnel avec la Roumanie, un attachant souvenir d'Espagne puis une fervente admiration envers la symphonie de Dvořák jouée ce soir-là, justifiaient le programme du concert donné ce 8 juin au Palais des Congrès de Bienne dans une salle comble, le public étant venu manifester sa vive reconnaissance au chef pour ses dix fructueuses années à l'OSBS.

Kaspar Zehnder
© Suzanne Schwiertz

La Deuxième Rhapsodie roumaine de Georges Enesco met aussitôt en relief l'une des qualités essentielles de la formation : l'homogénéité, venant déjà donner force et charme à une introduction méditative. L'entrée progressive des instruments sur un air d'origine populaire s'accompagne d'un crescendo que l'habile baguette du chef soutient jusqu'au fortissimo. Cette issue éclatante de l'introduction laisse place aux développements dans lesquels les solos successifs des divers pupitres et de somptueux tuttis se déploient. Les musiciens mettent en valeur leurs instruments, faisant sonner, avec finesse et virtuosité, les lignes et les accords savamment composés par Enesco qui ne cesse pas d'évoquer les traditions populaires.

Le programme se poursuit avec les Nuits dans les jardins d’Espagne de Manuel de Falla. L'inspiration de cette œuvre, comme de celle interprétée précédemment, dépasse de loin la seule orchestration ornementée de musiques traditionnelles. Elle n'en reflète pas moins de manière flamboyante l'image pittoresque d'une Espagne sensuelle et luxuriante. Les jardins du palais de l'Alhambra à Grenade apparaissent au travers d'un voile onirique rendant les formes, les repères incertains. L'OSBS se montre maître dans l'art de dépeindre ce tableau. Le frémissement des cordes, les légers coups d'archet et les pizzicati accompagnent une harpe délicatement pincée et la frappe légère d'une timbale. Les brefs appels lancés par les vents complètent cet ensemble porteur de mystère mais aussi de grâce.

L'entrée du piano au toucher et au jeu inspiré de Judith Jáuregui s'inscrit dans la continuité de l'orchestre. La frappe du clavier marie étonnamment la rigueur, la souplesse et la virtuosité. La musicienne reste fidèle à l'esprit de la composition et ne cherche pas à faire du piano un instrument dominant l'orchestre, mettant avec intelligence sa partie puissante au service de l'ensemble, donnant souvent l'impression d'une fusion avec les autres instruments, partageant les mêmes nuances, les mêmes élans. Ses gammes brillantes, ses solos expressifs prolongent généreusement les effets orchestraux. Cette complicité opère avec le même charme tout au long des rêveries qui constituent encore la magie des deux autres visites nocturnes de jardins d'Espagne.

Sous la conduite vigilante du chef, les musiciens proposent ensuite une subtile interprétation de la Huitième Symphonie de Dvořák, dès le premier legato des cordes qui dégage un sentiment de sérénité mais aussi, un peu paradoxalement, un réel entrain. L'intervention de la flûte ajoute, sitôt après, le charme de sa petite mélodie exécutée avec une belle légèreté. Le tutti et le dialogue entre les parties sont enlevés, l'orchestre répondant à toutes les indications d'une direction dynamique et précise. Le chaleureux thème initié ensuite par les violoncelles et les cuivres est particulièrement convaincant ainsi que le finale du mouvement vif et enthousiasmant.

Progressant par touches successives confiées à chaque pupitre, l'Adagio propose un éveil progressif d'un heureux effet, couronné par les traits de la violon solo, avant un troisième mouvement à la dualité habilement soulignée : d'une part les violons et bois offrent l'image d'une danse tournoyante et d'autre part les cordes graves semblent vouloir atténuer ce que les premiers pourraient avoir de trop frivole ! Cette combinaison étonnante produit un effet saisissant qui s'efface magiquement dans le finale du mouvement, l'ensemble des pupitres oubliant, en définitive, toute retenue qui amoindrirait l'effet d'un tutti plein de vigueur. Avec sa variété de tempos et de dynamiques, la palette des couleurs vives et contrastées du dernier mouvement est appréciée d'un public qui applaudira longuement les musiciens et un chef qui a su mobiliser et unir leurs compétences, au fil des ans.

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