À l'ombre des platanes centenaires, à la tombée de la nuit, le bourdonnement des cigales se mêle au son des plus grands pianistes du monde. Dans une cité médiévale baignée de soleil, les cerveaux les plus inventifs de l’art lyrique se réunissent pour réaliser leurs dernières créations. La musique chorale remplit une vaste abbatiale bénédictine du XIIIe siècle. Surplombant un grand lac, dans le parc d'un hôtel de luxe, une grange accueille les plus illustres musiciens.

La France est le pays incontournable des festivals de musique, d'une variété et d'un nombre sans égal. Durant la période estivale, on a l'impression que c’est impossible de traverser une ville (quelle que soit sa taille) sans tomber sur une publicité d'un festival local. Au printemps de cette année, lorsque l'équipe de Bachtrack a dressé une liste de festivals d’été que nous pensions susceptibles d'intéresser nos rédacteurs français, nous en avons répertorié 32 ; nous aurions pu, sans difficulté, doubler ce nombre. Lorsque j'ai essayé de compter les festivals de musique français, j'ai abandonné mes efforts à 150, après n’avoir couvert qu’un tiers de l’Hexagone.
Je partage avec Tristan Labouret, notre rédacteur en chef français, un amour d’enfance pour les bandes dessinées, dont ma préférée était Le Tour de Gaule, dans laquelle le petit Gaulois Astérix et son gros acolyte Obélix font le pari d’accomplir le tour d'une douzaine de villes gauloises afin de collecter les spécialités gastronomiques de chacune pour le général romain Fleurdelotus (sans surprise, ils remporteront le pari). Ainsi, lorsqu'Alison et moi avons décidé de passer notre été à faire une tournée des festivals français, c'est tout naturellement que nous avons baptisé ce voyage notre « Tour de Gaule » musical.
Nous avons choisi quatre festivals très différents les uns des autres, chacun ayant sa propre atmosphère et sa propre programmation. En outre, comme nous ne voulions pas conduire plus de six ou sept heures par jour, nous avons ajouté quelques escales, dont un court séjour à Paris, qui nous a permis de visiter l'Opéra Comique et la Philharmonie. Vous pouvez lire tout de mes impressions musicales dans mes onze comptes-rendus (en anglais, désolé) écrits durant le voyage ; ce bref bilan vous donnera une idée de l'ambiance des lieux que nous avons visités.
Évian est une ville thermale située sur la rive sud du lac Léman, là où les Alpes descendent abruptement vers le lac. Son attraction touristique la plus connue est la « Source Cachat », qui produit l'eau minérale connue partout dans le monde. Les Rencontres Musicales d’Évian sont le modèle-type du « festival de luxe ». Elles se déroulent dans le cadre opulent de l'Évian Resort, qui offre une vue époustouflante à travers le lac vers la Suisse. La propriété comprend l'Hôtel Royal cinq étoiles, l'Hôtel Ermitage quatre étoiles, un éventail d'installations sportives allant du golf au tennis en passant par la natation et la pétanque et, plus important nous concernant, une fabuleuse salle de concert : La Grange au Lac.
Cette dernière est une salle entièrement en bois, dont l’intérieur est de grande beauté et l’acoustique est chaleureuse et enveloppante. La salle est née de l'amitié entre les propriétaires de l'Évian Resort et Mstislav Rostropovitch, qui avait vu la tente du festival à Gstaad et avait conçu l'idée d’une « tente en bois ». La Grange a été récemment rénovée et sera augmentée par une salle de concert voisine, baptisée « La Source Vive », dont l'ouverture est prévue en 2025. Le festival de 11 jours attire les grands noms : le programme de cette année comprenait, entre autres, des membres des Berliner Philharmoniker, Zubin Mehta, Bryn Terfel, Martha Argerich, Avi Avital et le trio Ax/Kavakos/Ma.
Le Festival d'Aix-en-Provence est d’une toute autre sorte. Depuis 1998, les directeurs artistiques successifs (Stéphane Lissner, Bernard Foccroulle et maintenant Pierre Audi) ont fait du festival le lieu le plus en vogue d'Europe pour les créations d’opéra et les nouvelles mises en scène des œuvres de répertoire, une destination incontournable pour les lyricomanes qui cherchent à repousser leurs limites. Il est rare de venir ici et d'adorer tout ce que l'on a vu, mais il est quasiment impossible de repartir sans avoir trouvé beaucoup de matière à réflexion.
Cette année, j'ai vu le dernier opéra de Sir George Benjamin et Martin Crimp (j'ai adoré), une nouvelle production en langue française de L'Opéra de quat’sous (j'ai détesté) et une nouvelle mise en scène de Wozzeck par Simon McBurney (mitigé). D'autres de nos rédacteurs ont fait des comptes-rendus du dernier opéra de Philip Venables (The Faggots and Their Friends Between Revolutions) ainsi que des divers grands titres du répertoire. Le festival comprend également une importante académie pour les jeunes chanteurs, musiciens et membres du personnel de production.
Aix-en-Provence, ancienne capitale de Provence, est une ville prospère et une destination touristique qui regorge d'endroits à voir et de choses à faire (quand on n'est pas à l’opéra). Il y a de nombreux hôtels, la scène gastronomique est dynamique et le marché du samedi, qui s’étend sur les nombreuses places médiévales de la ville, mérite le détour à lui seul.
La Roque d'Anthéron est une commune de 5,000 habitants située en bordure du parc naturel du Luberon, à environ 40 minutes de route au nord-ouest d'Aix. Elle serait assez ordinaire si ce n'est qu'il y a 43 ans, la famille Onoratini, propriétaires du Château de Florans en centre-ville, y a organisé avec René Martin un festival qui est devenu la Mecque du piano. Les plus grands stars du piano s'y produisent – cette année, les pianistes français étaient Bertrand Chamayou, Alexandre Tharaud, Alexandre Kantorow et François-Frédéric Guy. Ils ont été rejoints par des habitués de la scène internationale comme Grigory Sokolov, Arcadi Volodos, Maria João Pires et Vikingur Ólafsson. La plupart des concerts de ce festival d'un mois sont des récitals en solo, mais il existe également des concerts symphoniques et de musique de chambre avec piano.
La moitié des événements environ se déroulent sur une scène en plein air située dans le parc du château, équipée d'une conque de panneaux acoustiques offrant une projection sonore étonnante. La magie de l'atmosphère provient en grande partie des immenses allées de platanes centenaires et du bourdonnement des cigales au coucher du soleil – même si ces dernières deviennent de plus en plus bruyantes avec l'augmentation des températures des années récentes.
Les autres spectacles se déroulent au Centre Marcel Pagnol à La Roque même, ou dans des lieux disséminés dans la campagne environnante – le Théâtre des Terrasses de Gordes, sur un piton rocheux qui domine toute la vallée du Luberon, est particulièrement spectaculaire. Étant donné que les environs immédiats de La Roque manquent d'hôtels haut de gamme, le festival n'attire pas la foule chic d'Évian. Il s'agit plutôt d'un public comparable à celui des BBC Proms : de nombreuses personnes sont des habitués qui viennent chaque année et, pour certaines, il s'agit de leur seul rendez-vous annuel avec la musique classique en concert. Cela donne au festival un caractère chaleureux et familial, avec de nombreux pique-niques dans le parc du château tandis que la restauration des concerts est assurée par le propriétaire du bar d'en face.
Un bref détour par rapport à notre itinéraire du retour nous a amenés en Normandie, aux Promenades Musicales du Pays d'Auge, un festival à une échelle bien plus intime et avec une intention bien différente. C'est un exemple remarquable des centaines de festivals qui apportent de la musique dans des endroits en France éloignés des grandes villes, où la musique classique de haute gamme n'arriverait normalement jamais. Saint-Pierre-sur-Dives, où nous avons séjourné, est typique de ces villages ruraux dépeuplés par la mécanisation de l'agriculture. La population est majoritairement âgée, presque tout est fermé à 21h, et le bâtiment le plus manifestement prospère des environs est le dépôt de tracteurs John Deere (les champs environnants sont riches et vastes).
Mais la musique y fleurit, grâce à l'engagement de Sébastien Daucé, fondateur de l'Ensemble Correspondances et de ce festival. Dans l'imposant cadre gothique de l'église abbatiale de Saint-Pierre, nous avons vu Les Métaboles, l'un des meilleurs chœurs de chambre de France et peut-être du monde. Dans un ancien couvent à Orbec, à quelques minutes de route, nous avons écouté l'un des pianistes français les plus passionnants, Adam Laloum. Ces deux concerts ont été l'occasion d'apprécier de la musique de la plus haute qualité.
Il faut avouer que le fait de visiter autant d'endroits différents n’a pas facilité l’organisation de notre aventure. Certains festivals annoncent leurs événements plusieurs mois en avance, mais de nombreux programmes ne sont finalisés qu'en avril ou plus tard, date à laquelle les meilleurs hébergements sont déjà complets, surtout dans les destinations de vacances populaires comme la Provence. Mais les dates approximatives des festivals les plus importants sont assez bien connues et, en faisant preuve d’une certaine souplesse, nous avons pu établir un itinéraire formidable.
Nos choix particuliers nous ont permis de profiter du glamour des rives du Lac Léman, d'un opéra novateur, du pianisme dans un espace de rêve et d’artistes que nous souhaitions particulièrement entendre. Nous aurions tout aussi bien pu choisir des concerts de musique de chambre, de musique ancienne ou contemporaine, des événements mettant en avant des compositrices ou des jeunes talents. Les festivals français se déroulent de la frontière allemande aux Pyrénées, en montagne, au bord de l'océan, dans les vignobles ou dans d'anciens châteaux. Quels que soient vos goûts, la France regorge d’aventures musicales à ajouter à votre liste de destinations essentielles.
Les séjours de David et Alison à Évian, La Roque d'Anthéron et Saint-Pierre-sur-Dives ont été pris en charge par leurs festivals respectifs.
Traduction de l’anglais par David Karlin avec l’assistance de Tristan Labouret