Une bonne idée ne fait pas forcément un bon concert : c'est la conclusion qu'on pouvait tirer après plus de deux heures (sans entracte) d'un programme intitulé « Le jardin féérique », proposé par l'association Elles Women Composers. Alors qu'on est capable de citer spontanément cinq noms de compositeurs classiques, l'exercice est presque toujours non concluant lorsqu'il s'agit de citer des compositrices. D'où l'idée d'Héloïse Luzzati – animatrice de cette soirée et fondatrice de l'association – et d'une pléiade de jeunes interprètes, hommes et femmes, de constituer dès 2020 une sorte de calendrier de l'Avent (une « Boîte à pépites ») avec des vignettes sonores faisant redécouvrir chaque jour une compositrice sur les réseaux sociaux. L'idée a grandi et est devenue ce soir un concert, donné dans la salle des concerts de la Cité de la musique.

Mais vingt-cinq compositrices, vingt-six compositions, du piano seul au lied et à diverses formations de chambre, enchaînées sans interruption (Héloïse Luzzati a insisté pour qu'on n'applaudisse pas entre les œuvres), reliées par un commentaire qui s'appuie sur de brèves vidéos mettant en regard les personnalités et leurs goûts picturaux, c'est au total trop touffu pour être simplement assimilé par un public qui n'a aucun point de repère, et frustrant, parce que s'il y a en effet des pépites servies par d'excellents interprètes, on a à peine le temps de les savourer au milieu d'un florilège de pièces qui parfois manquent de singularité.
On n'est pas sûr non plus que ce type de concert serve la cause qu'il est censé promouvoir. Ce serait évidemment autre chose s'il s'agissait d'une conférence ou d'un cours magistral sur le thème « les inconnues de la musique classique », mais un concert cherchant à exalter les compositrices peut-il renoncer à exposer les quelques, trop rares, musiciennes qui ont acquis un nom (de Clara Schumann à Alma Mahler en passant par les sœurs Boulanger) et se contenter d'aligner des noms qui ne disent rien à personne, en dehors ce soir d'Yvette Guilbert ou Anne Sylvestre ? Et pourquoi, dans le cas de cette dernière, qui n'a pas écrit une note de musique classique, choisir l'un de ses textes les plus vulgaires, La Faute à Ève ? Il sera cependant sauvé par l'interprétation tout en finesse de la soprano Agathe Peyrat et de l'accordéoniste Pierre Cussac.
On eût de loin préféré une vraie sélection, un choix assumé parmi ces 25 compositrices, surtout que la très grande majorité d'entre elles sont contemporaines et ont écrit entre la fin du XIXe et le mitan du XXe siècle, dans des esthétiques très voisines. On aurait aimé entendre plus d'une mélodie (avec piano et quatuor) de la Canadienne Jean Coulthard, se délecter du timbre ombreux et de la parfaite diction de Marie-Laure Garnier, interprète de la Chinoiserie d'Henriette Puig-Roget et plus encore du Tzigane dans la lune d'Isabelle Delâge-Prat.
On a été captivé par le trop bref extrait de la Suite sylvestre de Fred de Faye-Jozin qui réunit un quatuor de violoncelles au piano de Célia Oneta Bensaid, et par la superbe Elegy de l'Écossaise Marie Dare avec les mêmes quatre violoncellistes. Jean-Frédéric Neuburger réussit à nous convaincre qu'Un vent léger courbe les branches de Cécile Blanc de Fontbelle est un petit bijou. On est frustré de n'entendre que le deuxième mouvement du quatuor avec piano Im Sommer de Louise Héritte-Viardot qui ne dépareillerait pas aux côtés d'un quatuor avec piano de Robert Schumann ou Antonín Dvořák. On l'est tout autant de n'avoir pu entendre que subrepticement d'aussi magnifiques artistes que Karine Deshayes, Delphine Haidan, Edwin Crossley-Mercer ou Raphaëlle Moreau.
Si une telle soirée pouvait déboucher sur une série, une saison dans le cadre si propice de la Cité de la musique, on ne pourrait que s'en réjouir...