Van Kuijk & Magenta : ceci n’est pas une marque de joaillerie de luxe mais le programme réjouissant concocté par La Belle Saison, qui réunissait deux quatuors lundi soir au Théâtre des Bouffes du Nord après une tournée de quatre dates. L’idée de faire se rencontrer deux formations constituées accouche souvent de concerts captivants, tant pour les musiciens qui doivent s’aventurer en-dehors de la « zone de confort » de leur propre ensemble que pour les spectateurs de cette expérience insolite. Lors de la Biennale des quatuors à cordes de la Philharmonie de Paris 2022, le programme Ébène & Belcea avait ainsi donné lieu à un des concerts les plus mémorables auxquels on ait jamais assisté…

Le Quatuor Van Kuijk / Le Quatuor Magenta © Sylvain Gripoix / photomorty
Le Quatuor Van Kuijk / Le Quatuor Magenta
© Sylvain Gripoix / photomorty

Ce soir, la rencontre prend des allures de passage de témoin générationnel : d’un côté, le Quatuor Van Kuijk, une formation bien rodée qui fêtera cette année les dix ans de son sacre au Concours International de Quatuors à cordes du Wigmore Hall, et qui s’est distinguée récemment au disque par son intégrale des quatuors de Felix Mendelssohn. De l’autre, les jeunes espoirs du Quatuor Magenta, ensemble fondé en 2021, qui s’est fait remarquer dès l’année suivante en accédant à la finale du Concours Haydn à Vienne et qui poursuit une ascension à suivre – on vient d’apprendre que les quatre musiciennes sont sélectionnées pour la phase finale du prochain Concours International de Quatuors à cordes de Bordeaux.

Les deux formations réunies vont livrer un Octuor de Mendelssohn exemplaire. L’œuvre peut pourtant donner lieu à de vrais jeux de massacre quand parfois les programmateurs de festivals ont la fausse bonne idée de réunir huit solistes dans cette œuvre taillée comme de la dentelle : il ne faut surtout pas chercher à grossir le trait, à accaparer la lumière dans cette partition au sujet de laquelle le compositeur lui-même préconisait l’adoption d’un « style orchestral ». Il faut au contraire chercher des modes de jeu communs, trouver quelles alliances temporaires créer avec tel ou tel voisin de pupitre, bref : former un unique et vaste groupe de musique de chambre sous la houlette du premier violon, celui-ci se retrouvant particulièrement surexposé dans un rôle hautement virtuose.

Ce soir, nous y sommes. Derrière un Nicolas Van Kuijk qui se joue brillamment des tours de contorsionniste qu’exige la partition, l’ensemble de l’Octuor « Van-genta » fait corps, avec un savoir-faire mendelssohnien probablement hérité de l’expérience des Van Kuijk au disque : les articulations sont soignées, les syncopes nettement définies, les contrastes aiguisés. Les arabesques et le trot enlevé du premier mouvement sont élégamment réalisés, l’« Andante » est tissé avec la légèreté de la soie, le scherzo est une ronde elfique joliment discrète… Tout juste aurait-on préféré que celle-ci soit un peu plus ludique, et la fugue du finale plus débridée, l’ensemble ayant adopté un tempo plus maîtrisé que réellement presto.

En première partie, l’ensemble avait réservé une belle découverte à son public avec le rare Quatuor pour quatre violons de Grażyna Bacewicz, une œuvre très bien écrite pour faire sonner un ensemble pourtant privé de l’amplitude du quatuor habituel ; dans cette partition qui lorgne plus d’une fois du côté de la musique traditionnelle, les quatre violonistes réunis ont très bien su accorder leurs quatre archets, aussi bien dans les appuis de la danse (« Allegro giocoso » du premier mouvement) que dans la manière de faire chanter les lignes mélodiques (« Andante tranquillo »).

On aura été moins transporté par La Nuit transfigurée avant l’entracte. À l’inverse de l’Octuor de Mendelssohn, le poème symphonique de Schönberg nécessite des musiciens capables d’être tour à tour narrateurs, acteurs ou décorateurs de l’action, quitte à ce qu’ils donnent l’impression d’en venir aux mains dans les passages les plus intenses de la partition, à l’instar de la tension qui gronde chez les personnages du poème éponyme de Richard Dehmel. Ce soir, derrière le violon splendide mais monochrome de Nicolas Van Kuijk, l’ensemble en a livré une lecture très lisse, sans caractériser outre mesure les innombrables motifs de l’ouvrage, sans incarner véritablement les mille péripéties du drame. L’écoute, la justesse et le soin accordé aux transitions étaient en revanche bien là, annonçant l’Octuor de haute tenue dont on se souviendra.

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