Pilier du répertoire français et grand succès à sa création début février 1900 (100 représentations au cours de cette année-là), Louise de Gustave Charpentier a été plus ou moins délaissée à partir des années 1950. Dans une époque récente, on se souvient seulement de la production de Nicolas Joel au Capitole de Toulouse en 1996 (passée par le Châtelet en 2000), puis de celle d’André Engel, créée en 2007 à l’Opéra Bastille. C’est donc avec un vrai bonheur, ainsi qu’un petit soulagement, qu’on voit ce rare titre faire son entrée au répertoire du Festival d’Aix-en-Provence. Et puis après tout, Louise ayant été le prénom le plus donné aux petites filles nées en 2024, peut-être sauront-elles apprécier « leur » opéra dans quelques années…
On pouvait penser que Christof Loy actualiserait cette intrigue à la Émile Zola qui peut paraître datée : modeste couturière parisienne, Louise est amoureuse de Julien et rêve de vivre avec lui, mais ses parents (les « maîtres » comme elle les nomme), intransigeants parfois jusqu’à l’absurde, s’y refusent. Dans la scénographie d’époque d’Étienne Pluss qui consiste en une vaste et triste salle d’attente d’hôpital, le metteur en scène allemand ne modernise pas, mais prend un parti qu’on ne comprendra qu’à la toute fin de la représentation.
Avant cela, l’action se déroule dans ce décor unique de grand hall gris, où Louise attend d’abord sur un banc, encadrée par ses parents. Pas de domicile familial ce soir, mais l’assemblée des couturières s’affairant sur une robe de mariée évoque efficacement l’atelier des ouvrières, tout comme les toits de Paris vus au travers des vitres suggèrent le petit nid d’amour du couple à l'acte III ; plus tard, la guirlande de fanions figurera la fête nocturne. Mais l’image finale de Louise, qui sort de consultation titubante avec le regard vide d’une névrosée, nous révèle que tous ces épisodes ont été vécus en rêve par la jeune femme, qui doit d’ailleurs fantasmer pour son médecin… en la personne de Julien.
Ce procédé n’est pas spécialement novateur mais fonctionne ici sans heurts, le jeu d’acteur portant par ailleurs une forte densité théâtrale. Ceci est particulièrement vrai pour Elsa Dreisig qui incarne une Louise proche de l’idéal, frémissante jeune femme après sa première nuit d’amour, quand elle chante son grand air « Depuis le jour où je me suis donnée », au texte magnifiquement articulé. La voix est belle et homogène, depuis les notes les plus graves qui sonnent agréablement jusqu’aux aigus les plus aériens. Sans atteindre à cette perfection, la diction d'Adam Smith est de bonne valeur, le ténor usant beaucoup de variations de nuances. Plusieurs aigus bien concentrés projettent avec force, tandis qu’à l’opposé, certains sons semblent parfois comme presqu’éteints en piano subito.
Nicolas Courjal joue un Père de Louise aimant, mais qui bascule par instants dans des pulsions clairement incestueuses. La basse française possède un grave impressionnant, profond et abondant, tout autant qu’une puissance qui lui permet d’enfler avec force quelques sons, tandis que l’extrême aigu sonne moins épanoui. Sophie Koch fait bien passer la méchanceté de la Mère, surtout lorsque l’orchestre émet un discret fond musical. Quand les instrumentistes jouent un tant soit peu, la voix se fait en effet discrète, accompagné de surcroît d’un vibrato envahissant. En dehors de ces quatre figures principales, les autres rôles sont nombreux et fort bien distribués, comme le ténor Grégoire Mour en Pape des fous, ou encore l’ancienne glorieuse soprano colorature Annick Massis qu’on a plaisir à revoir sur scène, même brièvement.

Partenaire régulier du festival, les Chœurs et l'Orchestre de l’Opéra de Lyon font également un sans-faute. Le chef Giacomo Sagripanti développe le plus souvent une direction pleine de délicatesse, parfois caressante, où l’on apprécie la formidable inspiration mélodique dans les détails des solos de flûte, hautbois ou clarinette. Les passages plus spectaculaires, comme les scènes de foule, sont aussi bien rendus, et sans exagération dans les décibels. Ce spectacle sera repris à l’Opéra de Lyon fin janvier prochain, avec la même distribution vocale, dirigée cette fois par Giulio Cilona.