En ce samedi soir estival avant l'heure, le Studio 4 de Flagey se remplit abondamment. Kazushi Ono prend place sur un podium où ne trône ni pupitre ni partition, face au Brussels Philharmonic. Ils seront plus tard rejoints par Gautier Capuçon pour les élans héroïques de Don Quixote de Richard Strauss.

Mais avant l’immense orchestre straussien, le Brussels Philharmonic est déployé en effectif plus réduit pour la Symphonie « Italienne » de Felix Mendelssohn. Cette œuvre composée entre 1830 et 1833 découle des voyages entrepris à cette époque par le compositeur allemand en Europe. Il y transcrit les impressions romantiques que lui inspire son périple en Italie et l’on retrouve ainsi dans la symphonie des atmosphères claires et chaleureuses, comme dans le premier mouvement où l’on verrait presque les rayons du soleil percer à travers les élans de cordes.
Pourtant, ce n’est pas du tout l’optique choisie par le maestro. Sous les impulsions du chef japonais, les dardants rayons solaires font place à un orage et une grisaille quasi perpétuelle. C’est comme si les interprètes affrontaient cette symphonie les sourcils froncés, et ce pendant trente minutes. Mais le plus étonnant est que cela fonctionne ! Loin d’être caricatural ou pesant, le geste de Kazushi Ono se fait nerveux et puissant. L’orchestre bruxellois suit la proposition de son chef avec beaucoup de sincérité et propose une forme de drame que l’on ne pensait pas inhérente à l’œuvre. Le beau soleil romain se mue en un puissant orage d’été, chaleureux mais inquiétant. Les équilibres de l’orchestre penchent régulièrement vers les contrebasses et les violoncelles qui prennent les devants pour guider les inflexions de leurs comparses. Pour apporter tout de même un peu de contraste dans ce tourbillon, Ono se sert du troisième mouvement comme d’une véritable éclaircie, pose un tempo plus tranquille et valorise abondamment la petite harmonie et notamment les superbes clarinettes de Midori Mori et Anne Boeykens.
Après la tempête convoquée dans Mendelssohn, il est plaisant de retrouver l’orchestre goguenard et coloré de Richard Strauss dans Don Quixote. Sous-titré « Variations fantastiques sur un thème à caractère chevaleresque », ce poème symphonique écrit en 1897 par un compositeur de 33 ans s’inspire de l’œuvre mythique de Cervantes pour faire dialoguer orchestre et solistes autour de grands thèmes épiques. Le chef opère d’ailleurs une transition très efficace dans le traitement orchestral, adoptant cette fois-ci une direction plus ciselée. On goûte la plénitude et l’efficacité du moindre alliage de timbre, comme entre le cor et l’alto : ces nouvelles sonorités viennent régulièrement titiller les oreilles de l’auditeur et paver le cheminement dramatique de l’œuvre.
Dans son ensemble, le Brussels Philharmonic fait preuve d’une constance infaillible en termes de beauté des timbres et d’un goût toujours très sûr dans le choix des différents caractères qui rythment le poème. Dans la conception de son œuvre, Richard Strauss a décidé d’attribuer le rôle du « chevalier » espagnol à un violoncelle solo. C’est donc Gautier Capuçon qui incarne Don Quichotte. La (triste) figure de ce personnage facilement caricaturable est finalement attachante de par le fait que sous ses atours précieux, exubérants et vaniteux à l’excès, il cache une dévotion et un courage profondément sincères et touchants.
C’est peut-être cet aspect qui nous fait défaut dans l’interprétation de Capuçon tant le violoncelliste fait entendre un son excessivement dur et frontal, et un vibrato bien trop ample, qui cache grossièrement de fréquents soucis de justesse. Dans ce jeu trop péremptoire et artificiel, il faut reconnaître que la fougue et la passion de Capuçon sont indéniables et qu’il campe une figure, si ce n’est chevaleresque, tout du moins conquérante, ce qui n’est pas hors de propos. On préfèrera cependant les (trop rares) instants où le violoncelliste joue sur un fil, dans des nuances plus intimes ; c'est lorsque son timbre s'est fait boisé et ses inflexions plus naturelles que Capuçon-Don Quichotte est parvenu à toucher véritablement son public.
*Note du 7 juin 2023 : Une version précédente de cet article faisait erreur quant au nom d'un des deux clarinettistes. Nous adressons toutes nos excuses aux artistes concernés.