Pluie diluvienne autour du lac Léman ! Le public, caché sous des parapluies, se précipite à l'intérieur de la Grange au Lac pour assister au concert de clôture des Rencontres Musicales d'Évian, assuré par l'orchestre Les Siècles qui tient son rang malgré la mise à l'écart de son chef fondateur François-Xavier Roth à la suite des révélations du Canard enchaîné. Bonne pioche pour Les Siècles, c'est Louis Langrée qui va prendre le relais sur le podium pour une première collaboration entre le chef et cet orchestre. Une chance, car le maestro impressionne régulièrement par la cohérence et l'intelligence de sa direction, semblant bien incapable de la moindre faute de goût.

C’est une affiche de rêve avec Daniel Lozakovich en soliste dans le Concerto n° 3 de Saint-Saëns, une œuvre à la virtuosité redoutable, oscillant entre lyrisme immense, intimité et fierté. Rien de quoi décourager le Suédois qui se fait peu à peu une place parmi les grands violonistes. Lozakovich confirme son rang dès les premières notes avec une introduction solennelle et puissante : quelle assurance, quel ton élégant et altier !
Dans les dernières mesures de l'Andantino, Lozakovich, Langrée et Les Siècles nous offrent un moment d'immense pureté, presque naïve. Le finale, avec sa ligne mélodique servie par un violon de ce talent, exprime une grande fierté aristocratique. La direction de Louis Langrée est marquée par une attention constante à maintenir l'unité de l'orchestre et à accompagner le soliste. Daniel Lozakovich enchante le public de la Grange au Lac avec deux bis d'une finition instrumentale superbe : la Troisième Sonate d'Ysaÿe et Après un rêve de Fauré.
La seconde partie est entièrement dédiée à Ravel, avec d'abord Ma mère l’Oye, où l'orchestre se distingue par des couleurs claires, des cordes soyeuses et des bois expressifs, puis la Suite n° 2 de Daphnis et Chloé, le monument ! L'effectif massif se tasse sur la relativement petite scène de la Grange au Lac. Tout rentre, nous offrant même les contrebasses disposées « à la viennoise », alignées au fond du plateau, une bonne idée compte tenu de la base qu'elles apportent à l'orchestre. Lors du « Lever du jour », les effets des pupitres de violons avancés au plus près du public sont peu portés par l'acoustique du lieu. Ils sonnent individualisés, secs, tandis que les cuivres et la petite harmonie se distinguent par leur relief et leur intensité.
On s'amuse des suspensions dans la « Pantomime » avant les vagues orchestrales, avec un peu de second degré et une pointe de vulgarité assumée et contrôlée. L'attention de chaque instant de Louis Langrée pour contenir l'orchestre dans le concerto se libère dans la « Bacchanale ». Les Siècles envoient trop de décibels, c’est foutraque, bordélique, et c’est très bien ! Il s’agit ici d’une bacchanale, Dionysos et tout son cortège de forces chaotiques, d’ivresse et de folie ne festoyaient probablement pas sur une musique bien en ordre. Il faut tenter de rendre cette partition un peu subversive, d'y mettre du désordre.
« Que peut-on jouer après Daphnis et Chloé, l’œuvre orchestrale la plus flamboyante du XXe siècle ? », s'interroge Louis Langrée. Rien ! Une nouvelle « Bacchanale » tout aussi fiévreuse est donc donnée en bis.
Le voyage de Rémi a été pris en charge par les Rencontres Musicales d'Évian.